Littérature noire
3 Janvier 2022
1973. La Ville, dans l'Est de la France. Le commissaire Schneider est revenu à la brigade criminelle. Entouré d'une équipe de flics concernés et débrouillards : Courapied, Charles Catala, Dumond, Trotski... unis sous l'autorité naturelle de leur chef charismatique, ancien d'Algérie. Ce midi de novembre, l'équipe se rend sur les lieux de la découverte d'un cadavre. La jeune Elisabeth Hoffman, 17 ans, git dans la boue, pantin désarticulé, sous vêtements arrachés, quasi décapitée. Le père, humble travailleur mutique, avait signalé sa disparition la veille. Frappé de plein fouet par ce drame, même s'il n'en laisse rien voir, Schneider veut tout mettre en oeuvre pour trouver le ou plus vraisemblablement, les salauds responsables. Sa hiérarchie commence à le tanner pour obtenir des résultats. La faitdiversière du canard locale l'asticote. L'équipe de la criminelle se concentre sur les traces d'un véhicule militaire. Sur une bêche également. L'enquête ne fait pas de bonds étourdissants. Mais il y a ce gamin, Ficelle un jeune maghrébin handicapé mental qui a disparu, peut-être que sa soeur sait quelque chose. Entre les apéros, les cafés à l'Abreuvoir, le troquet face au commissariat, entre deux gueuletons au resto et une nuit de sexe, Schneider ne lâche pas sa proie
Le carré des indigents, nouveau Pagan estampillé pattes d'eph' et Ray-Ban Aviator, remet en selle le mythique commissaire Schneider, quadragénaire, moitié samouraï, moitié cow-boy, d'une intransigeance rare, d'un charme certain et d'une affection authentique pour le comptoir. Mais sans être un pochtron. Le carré des indigents, c'est surtout le roman d'une certaine noblesse. Celle du héros évidemment, peu enclin à marcher dans les combines de ses supérieurs, peu attiré par une quelconque carrière. Mais il y a également la noblesse des petites gens à travers la famille d'Elisabeth Hoffman. Un père qui n'a jamais rien demandé à personne et se retrouve aujourd'hui désemparé par l'inimaginable disparition de son unique enfant. Il y a des scènes entre Schneider et Hoffman qui poncent les glandes lacrymales, de vrais beaux instants saisis en deux coups de pinceau. On peut reconnaître à Pagan cette sincère bienveillance pour les victimes, les proches. Ce n'est pas du chiqué, ça suinte le ressenti et vient parfaitement équilibrer l'aspect criminel de l'affaire. Les relations commissaire et inspecteur, commissaire et commissaire principal, commissaire et juge d'instruction sont l'architecture de ce monde prodécurier lourd, froid, si peu glamour. Pagan sait toutefois envelopper cela de dialogues vraiment bons, avec le décalage d'un Schneider souvent insaisissable dans ses réparties. Au milieu de tout cela, il y a, comme dans les précédents opus, une ambiance de France d'avant, de troquets, de clopes à la chaîne et de commissariats rances ("les geôles, au matin, sentent la pisse, la sueur, la crasse. Elles puent les pieds, la poussière et le balatum. Schneider n'était pas loin de penser qu'il s'agissait là de l'odeur de la misère"). Enfin, parce que l'auteur a roulé sa bosse, qu'il connaît le roman noir, il glisse deux histoires connexes de braquage et de corruption de flics, qui poussent encore un peu plus le curseur de la tension.
Le carré des indigents incarne le nec plus ultra du roman noir french touch, fondamentalement politique, tragique, où l'individu doit porter ses burnes pour affronter tout un système. 2022 commence sur des chapeaux de roue.
Le carré des indigents, ed. Rivages, 444 pages, 20, 50 euros