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The killer inside me

Littérature noire

Nos vies en flammes : ravages dans les Appalaches

Nos vies en flammes, quatrième roman de David Joy. Toujours dans ses Smoky Mountain, là-bas à l'ouest de la Caroline du Nord, dans les villes de Asheville et Cherokee, terres partagées entre indiens reconvertis dans les casinos et blancs frappées par les vagues de désindustrialisation. Dans cette région des Appalaches, Raymond Mathis, la soixantaine, bâti comme un char Sherman, apprécie comme personne son verre de whisky Redbreast, son petit cigare et le chant des coyotes, le soir, sous la veranda de sa ferme. Mais Ray n'a pas pour autant l'esprit tranquille. Il repense à son épouse décédée d'un cancer. Mais il doit surtout vivre avec un fils camé jusqu'à l'os. Ricky a 41 ans et il vient de se mettre dans une panade pas possible : il doit 10 000 dollars à un gros dealer de la réserve indienne. Dans ce coin d'Amérique livré à la toxicomanie, Denny Rattler est un autre junkie, loser complet, qui scrute les annonces de décès pour cambrioler les familles pendant les enterrements. Une vie au jour le jour, à squatter chez sa soeur ou, plus souvent, chez d'autres toxicos. Dans ce petit monde de Caroline du Nord, Ray et Dennis ne se connaissent pas encore mais ils vont se rencontrer, entrer en collision. Et pendant ce temps, le pays brule, soumis aux megas feux, " des incendies ravagaient la chaîne des Appalaches, depuis l'Alabama, jusqu'au Kentucky, des dizaines de milliers d'hectares se consumant rien qu'à travers la Caroline du Nord, et pas une goutte de pluie en prévision. "
C'est un monde sombre que peint David Joy, pas pessimiste mais réaliste, construit sur des faits, que ce soit l'épidémie de toxicomanies ou les incendies de plus en plus fréquents, de plus en plus violents. Pas besoin d'attendre la page 250 pour comprendre que c'est aussi un monde qui s'écroule, qui est arrivé au bout. La nature se consume en même temps que les hommes s'effondrent Poussant loin dans le quotidien des toxicos, certaines scènes de fixe ou de manque n'ont rien à envier aux pires moments de Trainspotting... l'humour en moins. 
L'auteur dédie ce livre à " Ron Rash, mon mentor et ami " et il est vrai que l'on retrouve les ambiances de celui-ci, notamment Le monde à l'endroit, qui évoquait cette frange d'Américains tombant dans les drogues les plus diverses.
Dans sa narration patiente, David Joy, outre une authentique intrigue criminelle, ajoute une réelle inquiétude environnementale tout comme la fin de la culture cherokee, dévastée par la vie moderne, les mirages des casinos et les bénéfices du trafic de cames. Un des personnages se demande s'il n'est pas préférable que tout brûle, que les feux ravagent tout, pour pouvoir repartir à zéro.
Sonatine a sans doute du se creuser les méninges pour traduire le tire original When these mountains burn. Parce qu'il ne s'agit pas d'un roman centré sur les incendies mais bien sur la dope, les morts par overdose, et l'éditeur publie ainsi l'article que Joy avait écrit sur les opioïdes pour le magazine America. Donc Nos vies en flammes pour la version française. Mais avec tout de même cette couverture de forêts en feu, illustrant idéalement ce roman de société en cendres, perdue, ravagée. La substantifique moëlle du roman noir rural.

Nos vies en flammes (When the mountains burn, trad. Fabrice Pointeau), ed. Sonatine, 345 pages, 21 euros.
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