Littérature noire
3 Février 2022
Le soir même, Tessa reprend son job à la Movida. L'oeil hagard mais la poitrine altière, elle récupère le numéro de Lydie, Miss Oklahoma, string bleu à franges western et lasso en liberté tel un serpent blafard. La tête ailleurs, le coeur aimanté à des images de carnage, elle se décortique sur une musique country, le cul épanoui, l'entrejambe humide. Les premiers rangs se rêvent en John Wayne."
Six ans après son formidable recueil, La fille des abattoirs (mazette quel titre !), chez Rivages, Marc Villard se remet aux nouvelles avec Raser les murs. Et cette fois que du neuf, de l'original, de l'inédit. Enfin, se remet aux nouvelles, ce n'est pas correct. Le poète qu'il est n'a jamais écrit de saga de 600 pages et son dernier roman, Les biffins, atteignait royalement les 118 pages. Le court, le serré, le concis, c'est sa signature. En ce mois de février 2022, ce sont donc bien neuf nouvelles fraîches. Avec une ouverture et une clôture qui se répondent, en forme de tragédie, autour de Sami et Samir deux réfugiés syriens. L'occasion pour l'auteur de dépiauter toujours un peu plus les trottoirs de la rue du Faubourg Saint-Denis, du boulevard de Strasbourg. La nuit, les putes, les clochards. Mais aussi la magie intacte, et l'amour, des cinés. Ce n'est pas la crasse que peint Villard, c'est vraiment la rue telle qu'il la voit, la sent.
Et puis le voilà qui passe à une chanteuse haïtienne des années 40, avant de revenir à Pigalle avec du pur polar en compagnie de la Tessa de l'extrait ci-dessus. Un assassinat mis en scène, une phrase mystérieuse, Marc Villard s'amuse avec les codes du genre et offre une âme sexy à son enquête.
Les neuf nouvelles sautent de continent en continent, d'époque en époque, de genre en genre avec une facilité confondante. C'est du Villard, toujours. Mais ailleurs, plus loin, avec d'autres. Avec, souvent, des femmes aux prises avec la dure loi des hommes, des soeurs de la Cécile des Biffins, soucieuse des autres avant tout, douce.
C'est beau, c'est vif, avec des fins surprenantes, déstabilisantes, c'est bien sûr très humain, et c'est surtout remarquablement écrit. Pas de dialogues exagérés, pas de mots d'esprit inutiles, Marc Villard écrit, frotte son vocabulaire à sa narration, à son histoire, choisit l'adjectif juste. Un travail d'une jolie précision. Et un très beau clin d'oeil au toujours regretté Tony Hillerman, avec Le canyon de Chelly et son vieil indien redresseur de torts.
Raser les murs, ed. Joëlle Losfeld, 183 pages, 17, 50 euros