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The killer inside me

Littérature noire

Le royaume des aveugles : un jeune Brookmyre déjà très affûté

Chis Brookmyre a 29 ans lorsqu'il publie au Royaume-Uni Country of the blind. Vingt-neuf ans pour un roman d'une incroyable maturité. Traduit par La Série Noire en 2001 (ce sera le dernier), Le royaume des aveugles mixe avec un talent impressionnant la corruption des élus, la puissance des médias et le rôle des services secrets. De prime abord, cela peut sonner ultra-classique, largement déjà-vu. C'est sans compter sur la plume féroce de Brookmyre et son atout maître, son as de pique : Jack Parlabane.
Magnat de la presse sulfureux, d'origine hollandaise, Roland Voss a été assassiné dans un manoir résidence mis à sa disposition par le gouvernement. Outre son cadavre, les policiers ont trouvé sa femme, également occise, d'un maître coup de couteau en travers du larynx. Les deux habituels gardes du corps ont, eux, été refroidis d'une balle dans la tête. Mais ce n'est pas tout : les limiers écossais ont retrouvé les assassins, un quatuor cambrioleurs qui étaient en train de fuir. Parmi ces quatre, deux anciens repris de justice. La presse et l'opinion publique se déchainent, on évoque l'entreprise terroriste pour garder ses quatre là au secret sans avocat. Ou presque puisque la jeune avocate Nicole Carrow avait reçu quelques jours avant les faits, l'un des cambrioleurs, Tam McInnes, celui-ci lui remettant une enveloppe à n'ouvrir qu'en cas de problème. Il se trouve donc qu'il y en a un. L'avocate fait une déclaration à la télévision, évoquant une éventuelle machination contre son client et ses camarades. Un des hommes chargé de la sécurité du manoir se suicide avec une pilule de cyanure. Et c'est là qu'intervient Jack Parlabane. Parce que ce type qui vient de mourir c'est justement un de ses vieux amis. Avec lui il a vu les Skids en concert, les Clash à l'Apollo. Et cela crée des liens. Parlabane veut parler à l'avocate. Et lorsqu'il l'aborde il déjoue in extremis un sabotage sur la voiture de Nicole Carrow. L'idée d'un complot de haut niveau visant à faire porter le chapeau à McInnes et consort prend forme.
C'est quelque chose de lire un Chris Brookmyre plus de vingt ans après sa sortie. Parce que finalement, le roman reste très actuel. Le royaume des aveugles tient bien sûr parfaitement la route question intrigue, tout se goupille à merveille et malgré les incroyables rebondissements (évasion, intrusion nocturne, enlèvement), l'auteur reste dans le réalisme. Là où il demeure dans l'air du temps, c'est bien sûr dans cette collusion entre patrons de presse et élus, à savoir qui tient l'autre, qui manipule qui, qui profite des largesses de l'autre. Et Chris Brookmyre ne se prive pas de faire un inventaire détaillé des errements, pour ne pas dire des scandales, de l'ère John Major. En cinglant aussi le puritanisme hypocrite de cette classe politique... Sans oublier un très beau passage sur la vie de Thomas McInnes, ancien mécano, poussé à la délinquance par une situation sociale dégradée après l'arrivée des conservateurs au pouvoir. L'histoire toujours répétée, mais inépuisable, du riche et du pauvre, des puissants et du simple peuple
Dès ce deuxième roman - et dans doute dès le premier mais hélas, pas encore lu car épuisé - Brookmyre s'inscrit dans ce fameux Tartan noir, cette tradition écossaise, d'une situation terriblement dramatique avec un zeste d'humour. C'est souvent Parlabane qui détend l'atmosphère. C'est parfois Spammy, ce cambrioleur façon Sammy de Scoubidoo. Ou c'est même une des ordures de tueur : " - Votre petit cottage secret dans les vallons du Yorkshire, où vous aimiez "divertir" ce joueur de rugby de Leeds. - Jésus ! - Non. Je ne crois pas que c'était son nom. "
Pour être tout à fait honnête, il y a sans doute un ou deux passages un peu bavards (la première scène de Nicole et Jack notamment) mais pour le reste c'est du polar politique très solide et même virtuose. Du Costa-Gavras qui croise Guy Ritchie.

Le royaume des aveugles (Country of the blind, trad. Nicolas Mesplède, revu par Catherine Boudigues), ed. La Série Noire, 443 pages, 6 euros d'occasion
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C
Mais oui, excellent, excellent... l'auteur n'a pas eu de chance en France en multipliant les éditeurs...
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T
Complètement ! Au moins quatre éditeurs en 20 ans, c'est assez rare. Et visiblement il vend très bien ses romans outre-Manche. Tu es toujours à Lyon ?