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The killer inside me

Littérature noire

Nous sommes l'incendie : racisme anti coréen et anti noir en face à face

On connait l'histoire de Rodney King, tabassé par des flics de Los Angeles en mars 1991. On connait moins l'histoire de Latasha Harlins, 15 ans, abattue dix jours après l'affaire King, toujours à Los Angeles, par un épicier coréen qui la soupçonnait de vouloir voler une bouteille de lait. Son meurtre, et surtout la mansuétude des juges pour le coupable (5 ans de probation, 400 heures de travaux civiques) seront un des déclencheurs des émeutes d'avril et mai 1992 à Los Angeles.
Steph Cha a 36 ans et Nous sommes l'incendie, son quatrième roman, lauréat du LA Times Book Award, fait se croiser la famille de la jeune fille abattue et la famille de la meurtrière. L'auteure prend quelques légères libertés avec la réalité pour mieux coller à son propos, mieux mettre en lumière deux communautés tellement différentes, tellement opposées dans ce coin de Californie. A savoir les Coréens et les afro-américains. Ava Mathews a donc été tuée d'un tir à la tête en mars 1991 par Jung Ja Han. En 2019 cette dernière se fait désormais appeler Yvonne Park, quinquagénaire discrète, épouse d'un pharmacien, mère de deux filles, Grace et Miriam. Grace, la plus jeune, est la seule à tout ignorer du passé d'Yvonne. Jusqu'au jour où elle l'accompagne à la sortie de la pharmacie quand celle-ci est atteinte par le tir d'un homme depuis une voiture... Yvonne s'en sort miraculeusement mais Grace découvre l'histoire de sa mère, le verdict de l'époque. Foncièrement anti-raciste, ses sentiments se chevauchent : trahison, amour maternel, peine, peur... Pendant ce temps, dans la famille d'Eva Mathews, son jeune frère Shawn, désormais âgé d'une quarantaine d'années, ex-membre du gang des Crips, est allé accueillir son cousin Ray à la sortie de la prison où il a purgé ses dix ans. Shawn lui a trouvé un job de déménageur mais cela ne dure pas. Sans que Ray retombe vraiment dans la criminalité, il n'est pas encore prêt à réintégrer la vie "normale". Et quand Yvonne Parks se fait tirer dessus, tout le désigne.
Nous sommes l'incendie est un beau polar de société, abordant le thème si rare du face à face des blacks et des Coréens aux Etats-Unis et plus spécialement à Los Angeles. Sans être un tabou, les violences qu'ont subi les asiatiques en 1992, mais également après la pandémie de Covid, sont souvent passées sous silence, comme si elles étaient moins graves qu'un racisme anti-noir. Certainement moins répandues statistiquement, ces violences existent malgré tout. Mais le roman explique aussi à quel point, la police a su manipuler la foule en colère après l'affaire Rodney King pour qu'elle se retourne non plus contre le LAPD mais bien contre la communauté coréenne. Steph Cha dissèque bien les ressorts de ces deux communautés, dont les valeurs familiales semblent les seuls points communs. Elle montre à quel point a communauté noire, même près de trente ans après, a du mal à se défaire d'un culte de la violence, seule moyen pour certains de se faire entendre, d'exprimer leur douleur, de demander justice.
On pardonnera  Nous sommes l'incendie une fin un peu gentille. Avec ce nouveau roman, Sonatine prouve à quel point sa ligne éditoriale creuse les ombres de la société américaine. Il y avait eu le précieux Côté Ghetto de Jyll Leovy, déjà sur Los Angeles. Evidemment le Baltimore de David Simon. Et chaque fois, loin d'un nature writing de plus en plus déconnecté de la réalité, ces auteurs plongent dans l'Amérique du XXIe siècle, dans ses démons, sa violence inhérente. Sans en rajouter, en reprenant le fil de l'histoire. Vraiment fort.

Nous sommes l'incendie (Your house will pay, trad. Caroline Nicolas), ed. Sonatine, 402 pages, 22 euros)
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