Littérature noire
12 Avril 2022
Dominique a disparu. Il a onze ans et sa mère, Noëlle, le cherche partout dans le village. C'est le 15 août, la Sainte-Marie, première fête de Corse. Mais aussi premier jour de la si attendue chasse au sanglier. Sur les hauteurs, Dominique grimpe, court, jusqu'à ce qu'une balle le touche à l'artère fémorale. Le temps que les secours arrivent, il aura perdu trop de sang. Sa mère est foudroyée. Et attend le père, son mari, Ange. Un couple sulfureux, amoureux, volcanique, tendre et violent. Noëlle était amoureuse d'Ange, elle avait quatorze ans. Tous deux étaient de cérémonie à un mariage au village, au nord de Bastia, et cela a paru comme une évidence. L'adolescence laissant place à l'âge adulte, Ange a fréquenté Corte, sa fac, ses idées de lutte nationale. Il était beau en rebelle, grande gueule. Forcément, cela s'est terminé par le mariage. Mais la fusion des deux amoureux a tourné à la jalousie maladive d'Ang;e. Tous ses projets professionnels se vautrant dans son incompétence ou son manque de rigueur, le voilà qui transpire d'une amertume ponctuée de gifles et d'humiliations sur Noëlle. Sauf que celle-ci n'est pas genre à se laisser faire. Elle lui répond, elle le provoque. Leur maison, dans ce village en balcon sur la Thyrrénienne, le drame couve encore.
Jamais simple d'ouvrir un roman sur un environnement familier. Il y a différentes craintes, des a priori : ce sera trop clichés, ce sera déjà lu, ce sera forcé, comme souvent. Mais non, Des îles et des chiens balaye cela dès les cinq premières pages : le cadre, c'est bien la Corse, le nord de Bastia, mais c'est aussi n'importe où, là où il y a un homme et une femme qui s'aiment et se déchirent. C'est le premier coup d'éclat de Sylvia Cagninacci dont c'est le premier roman : si elle glisse ici et là des éléments de contexte qui parlent aux Corses, aux Bastiais (la place St Nicolas, Pietranera...), elle n'en fait pas un personnage à part entière. Et bien sûr, l'autre réussite du roman c'est d'avoir si bien peint cette relation, d'abord amoureuse, devenue toxique. Et Ange, ses insuffisances, sa main leste, ses insultes sont la base de tout. Parce que Noelle pourrait encore l'aimer. Elle l'aime encore d'ailleurs. Mais elle comprend qu'il est le mal à l'origine de tout. Un mal, cette violence, contre lequel personne ne s'est levé au village : " le soir de son anniversaire, quand elle s'était un peu oubliée sur la piste de danse et qu'Ange l'avait giflée devant tous, en la traitant de petite pute, ils avaient fait quoi ? Ils avaient détourné la tête, fait semblant de rien voir."
Enfin, et parce que le texte est lourd socialement, Sylvia Cagninacci trouve un bel artifice narratif avec le personnage de Dominique en ange-gardien, capable de communiquer - ou bien rêve-t-elle ? - avec sa mère. C'est plein de poésie, d'une belle douceur, d'une vraie tendresse, d'un vrai - cette fois - amour.
Un texte profond et beau.
Des îles et des chiens, ed. In8, 140 pages, 17 euros