Littérature noire
20 Mai 2022
Vous semblez un romancier boulimique, menant plusieurs séries à la fois, dans différents univers. C'est une passion de jeunesse ?
Oui. Complètement. Dès que j'ai commencé à écrire une phrase, peut-être vers six ou sept ans, j'ai voulu raconter des histoires. C'était ça : une passion. C'est comme ça que je me suis dirigé vers le journalisme, pendant quatre ans d'abord comme technicien pour les magazines de cinéma, je faisais de la maquette, du flashage, on allait à Cannes, on travaillait aussi sur le festival de Milan.
Coupez !, votre dernier roman est-il un hommage personnel à la culture underground du cinéma d'horreur, de la musique heavy metal ?
Ma génération a grandi avec le format de cassettes vidéo VCR. Avant cela on ne pouvait pas voir les films d'horreur parce qu'au cinéma il fallait avoir 18 ans. Donc les ados comme moi, les regardaient au magnétoscope. Mais le problème c'est que le gouvernement a sorti un décret pour classer ces films comme nasty vidéos (films crades). Et du coup, on voulait encore plus voir ces films parce qu'ils étaient illégaux. C'est vraiment devenu une passion et à l'école toutes mes petits histoires étaient inspirés par ces films d'horreur. J'aime cette époque des effets spéciaux faits main, des gens comme Tom Savini (Vendredi 13, Zombi, Day of the dead..), c'était à la fois du grand guignol et de l'illusion. Et l'illusion, ça, ça me plaît. Pour en revenir aux nasty vidéos, certains qui avait des boutiques vidéos sont allés en prison en Angleterre pour ça. Un décret voulu et soutenu par Margaret Thatcher. A cette époque d'émeutes, de conflits sociaux, il fallait bien détourner l'attention... A propos du heavy-metal, ça s'est plutôt la culture musicale de mon fils, c'est lui qui m'a donné toutes les infos. Par une coïncidence que je ne m'explique pas, dans la série Ambrose Parry écrit avec ma femme, le premier volume s'appelle The way of all flesh... et c'est aussi le nom d'un album du groupe français Gojira que mon fils adore.
Pour en revenir à la musique, dans votre deuxième roman Au royaume des aveugles, Jack Parlabane évoque un concert des Clash à Glasgow en 80. On sent dans votre œuvre que la musique est importante...
Je crois que tous les écrivains de polar que je connais sont des rock stars frustrées ! Nous aurions tous aimés faire partie d'un groupe et donc il y a toujours de la musique dans mes romans. Celui que je suis en train de finir justement raconte l'histoire de deux filles qui étaient dans un groupe et l'une des deux rencontre un vrai succès et d'avoir laissé l'autre derrière, crée une tension... On a fait un petit groupe avec Val McDermid, Fun Lovin Crimewriters, et ça illustre bien l'importance de la musique pour nous tous. Dans Coupez !, le heavy-metal et les films d'horreur sont un peu sur le même plan, plutôt déconsidérés, le heavy-métal a créé des inquiétudes morales avant même les films d'horreur. Ils sont liés. Moi j'étais plutôt punk et new-wave, j'écoutais The Skids, les Clash et plus tard Manic Street Preacher.
Vous avez sorti L'ange déchu en 2021 et il y avait ce personnage de Max Temple, psychologue, qui combattait les théories complotistes. Si c'était prémonitoire, ce n'est pas aussi simple de lutter contre les théories conspirationnistes ?
C'est dur oui. C'est Mark Twain qui disait que l'on ne pouvait raisonner quelqu'un qui n'a pas raisonné d'abord sur sa position. Les prémices d'une discussion sur certains sujets pourraient être, quels genres de preuves pourraient vous faire changer d'avis ? Parce que certains personnes, à mes yeux, n'acceptent aucun type de preuve. C'est vrai que le roman, que j'ai écrit en 2018, paraît tellement actuel alors que, pour moi, les conspirations, c'était plutôt quelque chose du passé. Il y a des gens qui pensaient vraiment que Bill Gates était lié aux vaccins ! Mais en Grande-Bretagne, nous n'avons pas eu de gros mouvements complotistes. Parce que le gouvernement s'est tourné vers la population, s'est montré très ouvert et du coup les théories conspirationnistes n'avaient rien à quoi s'accrocher. Il y en a eu certes mais pas comme aux Etats-Unis par exemple.
Votre œuvre se caractérise par des intrigues non pas compliquées, mais sophistiquées. Le plan, c'est le secret pour retomber sur ses pattes ?
Maintenant j'en fais. Parce que je travaille avec ma femme et elle me force à en faire. Quand on a commencé à écrire ensemble, je la rendais folle parce que je luis disais "voilà ce qui va se passer " et elle me demandait " mais comment ça peut arriver ? ", " je ne sais pas encore", " mais tu dois savoir ! ". On fabrique donc un grand plan parce qu'elle écrit un chapitre et moi un autre, ainsi de suite. Désormais quand j'écris pour moi, je planifie plus qu'avant, particulièrement pour Sombre avec moi. Quand il y a un gros twist vous devez savoir dès la page 1 quand vous allez placer ce twist. Plus jeune, je suivais une idée sans vraiment savoir où elle me mènerait. Je pense à Faites vos jeux par exemple. Maintenant j'ai donc un plan, il n'est pas forcément bon, mais j'en ai un. (Il montre une photo dans son téléphone) Voilà le plan accroché à la maison pour le quatrième Ambrose Parry, un personnage en bleu, un autre en rose et chacun sa partie.
Vos romans restent marqués par la classique lutte du bien et du mal. Des personnes souvent manipulés par les plus puissants.
Oui, la question de l'abus de pouvoir est une réalité. Je suis toujours du côté des outsiders, des moins puissants. Il y a une lutte et on a toujours envie de lire la défaite des méchants, je suis du côté des plus faible parce que de toute façon je ne peux pas écrire des histoires de gens riches, je ne sais pas ce que c'est.
Jack Parlabane est un journaliste à la limite de la légalité. Est-il le journaliste que vous auriez voulu être ?
Non ! Mais j'aurais voulu qu'il existe : un journaliste qui ferait n'importe quoi pour trouver la vérité. Il y a tellement de portes à ouvrir, de pouvoirs à protéger. On veut tous que quelqu'un fracasse les règles pour atteindre la vérité. C'est un fantasme. Et en l'imaginant, petit à petit, je me suis dit aussi qu'il pouvait tout faire foirer, avec des motivations parfois étranges. Parlabane m'a aussi été inspiré par le personnage de Ford Prefect dans le Guide du Voyageur Intergalactique, un journaliste qui a tout le temps des embrouilles.
Outre la musique, le journalisme, il est aussi question de football comme dans Petit bréviaire du braqueur. Votre club de coeur ?
Alors ma femme m'a dit de faire attention avec les allusions au football parce que tout le monde ne comprendrait pas. Moi, je suis fan de St Mirren. Pas les Celtics ou les Rangers. Saint Mirren sont de Paisley (ouest de Glasgow). Je crois d'ailleurs qu'un de leurs joueurs, Jamie Fullarton est passé par Bastia.
Votre roman de SF paru cette année, même s'il se déroule dans des centaines d'années, peint une société encore très divisée, avec d'énormes luttes de pouvoirs. Vous n'avez aucun espoir pour l'humanité ?
Non, non. Mais il y a des avancées technologiques et certains les contrôlent. Comme ils contrôlent vos souvenirs, votre mémoire, ce qui fait ce que vous êtes. Je ne suis pas pessimiste. Mais il y a toujours une lutte pour combattre les abus. Dans ce roman, je dis clairement que la conquête de l'espace appartient à des conglomérats privés, un peu comme on le voit aujourd'hui avec par exemple Elon Musk. Mais finalement, je pense que les gens ont pu s'apercevoir avec la crise du Covid à quel point l'Etat, un Etat, pouvait faire mieux qu'une société privée. Et dans La cité dans le ciel, il y a cette volonté des entreprises de privatiser l'espace, de s'y installer avant l'Etat qui tente de garder le contrôle. C'est de la politique après tout : l'Etat doit être là pour nous protéger en toutes circonstances.
Passer du polar à la SF, ça vient comment ?
J'ai écrit Pandemonium il y a quelques années, qui n'a pas été traduit chez vous. Publié en 2009. Et en 2012, une société de jeux vidéos a voulu travailler avec moi suite à ce roman. J'ai bossé avec des développeurs. Mon éditeur m'a incité à écrire un autre roman de SF et là j'ai pensé à une sorte de station spatiale internationale, où je pourrais créer la police que je veux, qui suivrait les règles que je voulais. Je me suis tout de même appuyé sur l'excellent et très honnête livre de Mike Mullan, Riding Rockets. Maintenant j'aimerais écrire un autre roman de SF autour du personnage de Nikkie. J'aime bien cette liberté qu'offre la science-fiction. Tous les deux ans je me consacre à l'écriture d'un roman sous mon nom. Les autres années, c'est avec ma femme, pour des romans dans le XIXe siècle, avec des règles, des codes très stricts. D'un côté c'est agréable parce que je n'ai pas trop à inventer dans ce cadre historique.
Dès le départ vous avez accordé des rôles importants sinon principaux aux femmes. Ce n'est pas si fréquent.
Je ne sais pas quoi répondre. J'ai toujours été entouré de femmes dans ma vie. J'ai voulu renvoyer la façon dont je vois le monde. Dans La cité dans le ciel, il y a quelque chose de volontaires à avoir essentiellement des femmes, c'est parce qu'elle voit les choses différemment, elles prennent des décisions différentes des hommes.
Ecrire sous le pseudo d'Ambrose Parry avec son épouse, c'est le secret d'un couple qui dure ?
Ah ah. Nous apportons chacun quelque chose que l'autre n'a pas. Mélissa est bien sûr très calé dans tout ce qui est médecine. Et j'ai plus d'expérience dans l'écriture. On se respecte. Mais la raison pour laquelle nous sommes toujours amoureux alors que l'on écrit ensemble, c'est parce que nous n'écrivons jamais dans la même pièce ! Jamais. Personnellement, je me lève tôt, j'aime marcher et dicter mes idées sur mon téléphone. Ensuite je transcris. Je ne pourrais pas écrire si je ne marchais pas.
On a appris en lisant Le Point (le numéro spécial Quais du Polar) que finalement, le mouvement Tartan Noir est en quelque sorte inventé ?
Oui et non. C'est Ian Rankin quand il est allé voir James Ellroy qui lui a sorti cette expression. Qui est restée. Et ça nous aide bien à vrai dire. Les Scandinaves ont bien leur identité ! Personnellement, je ne suis pas certain de faire du noir, mes romans sont plutôt optimistes... dans leurs conclusions. Ce qui nous réunit aussi sans doute c'est l'humour dans nos oeuvres respectives. Ma femme Marisa dit que les histoires trop sérieuses ne sont pas réalistes, dans la vie, peu importe vos galères, il y a toujours un moment pour l'humour. En Ecosse, on attache de l'importance à l'humour, même de l'humour noir, des insultes. Un professeur de littérature me disait que la différence entre l'humour anglais et l'humour écossais c'est que le premier se base sur des bonnes manières. Pas l'Ecossais.
En France vous avez fréquemment changé d'éditeur. Il y a une explication ?
Pas vraiment. Les éditeurs s'engageaient pour deux livres et puis c'était tout. Métailié me fait confiance aujourd'hui. Je ne suis venu qu'une seule fois en France en 2002 il me semble pour Au royaume des aveugles. Et Lyon c'est donc la deuxième fois.
Quel est votre but en littérature ?
J'apprends toute le temps. Et je me cherche. Je retranscris ma propre expérience aussi. J'ai toujours pensé que la personne qui débutait un livre n'était pas la même quand elle le finissait. Et pour moi c'est pareil, j'apprends chaque fois un peu plus qui je suis. Ce n'est pas une obsession non plus. Cela me permet de comprendre les choses en même temps. Dans L'ange déchu, par exemple, j'ai compris pourquoi les théories complotistes pouvaient ainsi se répandre.
Un dernier mot sur l'Indépendance de l'Ecosse. C'est d'actualité ?
C'est difficile de le prédire. Surtout depuis les événements mondiaux qui nous impactés après le référendum sur l'indépendance. Bien qu'il y ait eu un plus fort pourcentage de personnes en faveur de l'indépendance je me demande à quel point l'opinion publique a de l'appétit pour le bouleversement. Ils voudront sans doute quelques années de stabilité avant d'être prêt pour un changement radical. Si les Conservateurs perdent les prochaines élections, cela accélèrera l'envie d'indépendance des Ecossais. Ce n'est pas tellement le fait d'être dirigés par Londres qui pose problème : c'est le fait d'être dirigés par des Conservateurs.