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The killer inside me

Littérature noire

De notre monde emporté : l'adieu aux chantiers navals

Ecrire un roman sur la fin d'un monde ouvrier. Un texte crève-coeur sur les chantiers navals de La Seyne sur Mer. Une belle histoire d'amitié, de travail, de solidarité. Sans en faire un tract politique. Christian Astolfi a réussi, avec De notre monde emporté, cet émouvant pari.
Voilà le début des années 70. Narval, son surnom depuis qu'il a repêché un gars tombé dans le port, entre aux chantiers navals de La Seyne sur Mer, suivant les pas de son père. Ici on construit des bateaux immenses, on les révise, on les répare, depuis plus de cent ans. C'est un monde d'hommes solides, durs à la tâche mais soudés, liés par une amitié aussi sincère que virile. Il y a là Barbe, Cochise, Mangefer, Filoche... La classe ouvrière comme on la retrouve à Longwy et ailleurs dans le Nord, l'Est. Et forcément on parle politique. Début des années 80, il s'agit de sortir "l'accordéoniste" de l'Elysée. Après la choc pétrolier, l'arrivée de la Gauche concrétise de vieux rêves. Qui ne dureront pas. Petit à petit, les chantiers navals de La Seyne sur Mer vont encaisser restructuration, rationalisation, mondialisation avant la fermeture. Et le comble ? Cela se passe sous la gouvernance des socialistes... Un malheur n'arrivant jamais seul, c'est en ce début des années 90 que se font sentir les premiers ravages de l'amiante, utilisée abondamment dans la construction. Un autre combat s'annonce.

De notre monde emporté, bien sûr, parle d'un temps révolu mais il le fait revivre avec une intelligence salutaire et surtout une sensibilité incroyable. Oui ce monde n'existe plus. Et on peut le regretter : travailler en équipe, construire des existences en parallèle, s'aider tout simplement sur un chantier et dans la vie.  Ce roman porte si bien son titre... Mais il interroge aussi sur cette forme d'aliénation, bien particulière, au monde ouvrier : "j'étais né dans le port, la mer en point de mire. J'avais grandi avec le bruit des tôle qu'on cogne, l'horizon barré par la ronde incessante des navires dans la darse. C'était mon théâtre à moi, le décor avec lequel me rassurer. Comment le quitter ?" Le libéralisme a imposé l'idée de travailleurs nomades. Mais avant les années 80, on prenait un boulot pour la vie, on en changeait pas. Et surtout, pour le cas des ouvriers, on travaillait dans sa région, auprès de ses racines.

Les éditions Le Bruit du monde viennent à peine de débarquer et se font déjà remarquer avec différents textes très contemporains. Ce roman de Christian Astolfi, son quatrième, s'inscrit dans le meilleur de la littérature sociale, peignant une époque, suivant un jeune homme heureux et amoureux avant de devenir un solitaire nostalgique. Le rapport avec le père est à pleurer. La scène chez le disquaire résonne comme une madeleine. De la belle oeuvre.

De notre monde emporté, ed. Le Bruit du monde, 184 pages, 19 euros
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