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The killer inside me

Littérature noire

La nuit sans mémoire : petits meurtres entre bourgeois catalans

Aujourd'hui, ce sont les plus bovins et les plus abrutis qui ont le plus d'argent; plus ils ont de moyens et d'opportunités, plus leur capacité à penser s'amoindrit, d'ailleurs ils ont déjà cessé de le faire. Bientôt, ils cesseront même de parler..."
Deux ans après le fiévreux Ce que la mort nous laisse, le Catalan Jordi Ledesma poursuit le scan de sa région et celui de sa chute vers une société touristique et pourrie. Ces deux qualificatifs, semble-t-il, de plus en plus en accord. A l'inverse de son précédent roman, l'auteur choisit dans La nuit sans mémoire une narration à la première personne, parfois risqué, mais, dans ce cas, elle l'implique davantage dans ce qu'il veut être une dénonciation du monde de son enfance devenu invivable.
Cette fois, Ledesma s'attaque aux parvenus, aux bourgeois du XXe siècle, mêlant richesses indécentes, vulgarité et criminalité. Soit la famille Marquis, prospère dans le commerce international des fruits secs, à l'aise dans les années franquistes et sur laquelle le Vieux règne sans partage. Sauf qu'il a deux fils. Le cadet est vite rejeté dans l'ombre pour cause d'homosexualité. Tous les espoirs sont placés dans le Petit Marquis, qui, malgré son surnom (spécialité de Ledesma) est l'aîné. Malheureusement, il s'amourache d'une belle Russe à peine débarquée. Une amante qu'il a peine à satisfaire avec ses problèmes d'érection vite poncée...
Pour le narrateur, cinq ou dix ans plus tard, il s'agit de retrouver la trace à la fois de cette Russe et de l'amant du cadet des Marquis, un jeune homme du village. Tous deux ont disparu quasi au même moment, sans laisser de traces, sinon celle de cette famille toxique.
Dans un style un brin onirique, s'adressant parfois au fantôme de la jeune femme russe, un peu boursouflé par moment, avec un usage tout de même imposant de l'adjectif, Jordi Ledesma parvient à créer une ambiance presque surréaliste avec ses personnages : le Pêcheur, le Policier, le Harki, le Buruba. L'intrigue tient la route, même s'il n'y a pas de réelle surprise pour le lecteur. Tout est dans l'épaisseur des acteurs et des actrices et dans la description de cette société immonde. Derrière le soleil de l'été, derrière les bronze culs et les vermouth pris en terrasse, c'est la crasse humaine d'une bourgeoise suffisante et stupide. " Ils étaient là, camouflés derrière ces coupes et ces bouteilles vides, amassées comme celles qui arrivaient pleines, derrière les cendriers débordant autant que les paroles blessantes et prétentieuses, à l'abri de cette suprématie qui tient dans un portefeuille. "
La nuit sans mémoire a son ambition c'est clair mais le roman, très original, a aussi cette prise de position forte, ce témoignage que l'on attend aussi sur un monde qui bascule et contre lequel on ne peut hélas rien.

La nuit sans mémoire (La noche sin memoria, trad. Margot Nguyen Beraud), ed. Asphalte, 184 pages, 20 euros
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