Littérature noire
31 Mai 2022
Quand Joseph Wambaugh, devenu atrocement rare, dit d'un roman que c'est "une histoire captivante, basée sur des faits réels, sur ce que c'était d'être un flic du NYPD et une femme il y a plusieurs décennies ", eh bien, on le suit, on fait confiance à l'ancien du LAPD.
Le bureau des policières, troisième roman d'Edward Conlon, né à New-York, diplômé d'Harvard et membre du NYPD avant de devenir auteur, raconte une décennie de la (difficile) vie d'une femme-flic entre 58 et 69 dans la Grosse Pomme. Marie Carrara, fille d'immigrés italiens, aînée des quatre soeurs, intègre une brigade exclusivement féminine, dirigée par madame M., avec ici et là des missions dans d'autres services, pour des filatures, déjouer des pickpockets. La frontière entre hommes et femmes du NYPD est claire, assumée, malgré les efforts de madame M. pour faire reconnaître les compétences de ses filles et notamment de Marie. Mais celle-ci va avoir un coup de pouce du destin lorsqu'elle rencontre Charlie, la femme d'un petit caïd de la drogue. Un marché est passé : Marie va jouer les infiltrées et Charlie tenter de faire tomber son insupportable amant. La jeune policière vit pour sa mission, s'investi à 100% dans son métier, s'y réalise. Bien plus que dans son mariage, avec Sid, également flic, mari violent et volage.
Le sujet lui-même du Bureau des policières est évidemment fascinant et plutôt rare. On sait bien, depuis Serpico au moins, que les Américains savent retranscrire l'ambiance d'une époque dans un commissariat, dans un service. On n'est pas chez Olivier Marchal, il n'y pas besoin d'en faire des tonnes. Que ce soit Thomas Mullen récemment, ou donc Joseph Wambaugh, en passant par Ed McBain, c'est toujours juste, humain, sans véritable postures héroïques. Et ici aussi. Mais c'est un peu décousu. Le lecteur a l'impression que Conlon a cherché à faire le lien entre différentes affaires de Marie Carrara, à les coller chronologiquement, davantage comme un long article. Sa narration est aussi trop souvent contrariée par des retours en arrière. Ainsi lorsque son mari, à qui elle a demandé le divorce, rencontre son chef de service, Conlon nous décrit ce qui s'est passé quelques jours avant, quelques semaines plus tôt, et c'est ainsi durant tout le roman, cassant le moindre fil de tension.
Le matériau est riche, la deuxième partie avec Ed et Al est plus réussie, mais il manque un peu de lien pour tout cela. Il manque aussi un peu plus d'ambiance de ce New-York des années 60. Certes il y a quelques scène savoureuses sur Times Square ou à l'Automat, mais c'est trop peu sur près de 600 pages. Enfin, il y a des traductions curieuses (" les enfants cavalcadaient un peu partout...depuis leur dernier contact, il devait y avoir eu beaucoup de cigarettes durant les années écoulées... un concert de klaxons rugit la dénonciation générale "). Bref, une petite déception.
Le bureau des policières (The policewoman bureau. A novel, trad. Thierry Arson), ed. Actes Sud, 586 pages, 24, 50 euros