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The killer inside me

Littérature noire

" Noire ou blanche ? C'est un livre bon sang ! "

Chez Paradis mixe le porno rural, les escrocs, les élus corrompus dans un petit village de France. On est loin de la vision du photographe Raymond Depardon ?

Ah ah, non. C'est un peu la France que j'ai connu quand j'étais gamin, dans les gorges du Tarn notamment, des villages pseudo authentiques, super touristiques, et tout autour une friche sur un plateau calcaire, une nature désertique où les touristes vont peu. Et c'est plutôt cela mon décor de Chez Paradis. Ce sont des lieux où l'on va se cacher, presque une France où j'aurais envie de vivre, sans relation avec la civilisation.
Une histoire comme celle-ci, ou encore comme Fin de siècle avec des mégalodons, ça part d'où, quelle est l'étincelle ?

Je ne sais jamais trop comment ça m'arrive. Pour Chez Paradis, je voulais ce genre de décor. Et puis, une des première fois où je vais à Lyon, ville que je ne connais que par Quais du Polar, je mange dans un restaurant en bord de Saône et il y avait un mec qui tombe en panne avec sa voiture, juste au bord du quai et un type derrière qui a klaxonné un bon moment avant de le doubler. Et voilà. Et je me suis dit, « imagine, le type dans la voiture tu le reconnais et puis... ». L'idée est partie de là, d'une scène fugace. Et cela m'arrive souvent : une scène qui n'a rien d'extraordinaire mais la boîte à questions se met en place. Et, si, et si... Avec Fin de siècle, la voix était un peu plus tracée parce que j'ai écrit il y a quelques années, Quelque chose pour le week-end avec des pingouins revenus du fond des âges qui venaient attaquer une petite ville anglaise après avoir sniffé de la cocaïne jetée par un cargo. A la fin du roman, ils se font manger en mer par des mégalodons et je me disais qu'un jour il faudrait que j'écrive un livre avec des mégalodons, une sorte de suite, sans personnage commun. J'ai tourné autour pendant un petit moment et ce qui m'a donné envie c'est un fait divers : des habitants dont la maison des voisins avait été complètement vidée par des cambrioleurs sans qu'ils n'entendent rien. Et j'ai commencé à fantasmer sur l'isolation des riches.

Votre humour noir, c'est une façon de dire, mieux vaut en rire ?

Bien entendu. Plutôt que d'en pleurer. A 51 ans, je commence à penser à ma mort, mais j'y pense depuis longtemps en me disant comment on fait pour organiser nos vies de manière aussi pourrie alors que l'on a si peu de temps à passer sur Terre. Quand on regarde la Comédie Humaine, cette vaste plaisanterie, il y a des accumulations de drames que l'on pourrait éviter mais non. Parce qu'il y a une bande de crétins qui n'ont toujours pas compris qu'ils n'étaient pas éternels et ils nous imposent des choses totalement absurdes. C'est un monde qui l'est de plus en plus et qui plonge vers la médiocrité. Donc oui, cela m'apparaît comme une vaste blague. Mais de moins en moins drôle.

Derrière l'humour, on sent un auteur inquiet, préoccupé. Ecrire c'est pour vous faire du bien ou pour faire du bien aux lecteurs ?

C'est forcément thérapeutique pour celui qui écrit. Cela me vide mes colère et c'est pas mal. Après, mes blagues, j'espère juste que les autres, ça va les faire rire. Mais je me rends compte que l'humour n'est quasiment pas un critère de sélection, ça ne matche pas forcément le duo polar et humour chez le public. Pourtant on est la patrie de San Antonio mais le lien est difficile en vérité, ce n'est pas ce que je mets en avant. Mais sinon, oui, j'ai des névroses normales et les angoisses qui saisissent sans doute toute personne normalement constituée en ce monde. Je me suis coupé désormais de l'actualité, progressivement, parce que ce n'est plus mon monde. Et quand je reprends pied dans l'actualité, je vois bien que je n'invente rien avec mes histoires.

Vous écrivez depuis vingt ans maintenant. Est-ce que vous vivez de votre métier ?

C'est compliqué de faire une généralité. Je vois autour de moi, certains qui décrochent de leur profession régulière pour se mettre complètement dans l'écriture. A partir d'un certain nombre de livres vendus on en vit. Mais on est payés en dette : un à-valoir c'est une dette. Il faut le rembourser. Et il faudrait pouvoir enchainer les bouquins les uns après les autres or l'édition est en train de devenir une foire d'empoigne pas possible. Et après 18 livres, je ne sais même pas si je pourrais programmer mon prochain roman l'année prochaine. Du coup, on fait des trucs à côté : des ateliers d'écriture, des rencontres, des conférences, du rewriting. Le statut d'écrivain peut rendre amer au bout d'un moment. Il commence à y avoir plus d'écrivains que de lecteurs. C'est assez effrayant.

Vous écrivez aussi en littérature jeunesse. Est-ce un grand écart avec le roman noir ?

Oui. Mais l'écart est de moins en moins grand. Chez In8, j'ai écrit Les romanichels qui est finalement assez trash, délirant mais, normalement, prévu pour les enfants de 13 ans. Je me suis bien amusé sur le ton d'un Gendron comme dans Fin de siècle. Il y a une charte non écrite qui dit qu'en littérature jeunesse on peut écrire un peu tout ce que l'on voulait mais qu'à la fin il fallait donner de l'espoir... celui que je suis en train d'écrire, avec une idée approuvée par l'éditeur, est plutôt noir. Donc, je dirais que l'écart se réduit oui. Le grand écart c'est dans les genres que j'aborde en fait : l'aventure, le roman historique, le fantastique et même le roman policier, l'enquête pure. Cela me permet d'essayer autre chose.

Pierre Lemaître, Nicolas Mathieu sont passés par le roman noir avant d'écrire de la littérature dite blanche. Cela vous inspire ?

Oui . Je pense que j'ai toujours écrit « à côté ». Je vais justement proposer des textes qui ne sont pas de littérature noire. L'envie, oui, elle est là. Mais la distinction entre les deux mondes est un peu artificielle. Un Jean Echenoz, toujours aux Editions de Minuit, écrit du polar affirmé depuis bientôt quarante ans. Connemara de Nicolas Mathieu, c'est sociétal autant que l'était Leurs enfants après eux. Pierre Lemaître slalome entre les deux. Il leur a fallu une haute distinction littéraire pour imposer leur voyage entre ces deux mondes. Et ce n'est pas simple de franchir cette marge qui a été décidé par des gens qui n'écrivent pas, qui vendent juste des bouquins. Quand je vois qu'Antonin Varenne a eu un mal fou à placer Dernier tour lancé parce qu'on ne sait pas si c'est de la noire ou de la blanche ! C'est un livre bon sang ! Il y a un tas de romans qui meurent de ça.

Plus jeune, vous vous destiniez au cinéma. C'est fini ? Pourquoi ?

Je voulais faire les deux. J'ai arrêté complètement le cinéma. Parce que j'ai raté la marche et parce que je n'avais pas les guibolles. J'ai été assistant de mise en scène puis réalisateur de programme court pour la télé, tout ça pendant vingt ans. Je me suis rendu compte que faire un film en France, c'était le parcours du combattant. Quand vous avez vingt financeurs si un seul n'est pas d'accord tout s'effondre. J'ai monté des projets pendant trois ans, à faire des repérages et à tout arrêter un mois avant le tournage. Je ne me voyais pas sombrer dans la dépression. Sans parler de la réécriture permanente. En écrivant, il y a une personne, une seule qui donne son avis. Je continue à faire des courts-métrages avec des scolaires, ça, ça m'éclate.

Quand vous n'écrivez pas, vous lisez quoi, vous regardez quoi ?

Je lis beaucoup de polars. Le cinéma ? Je fais partie de ceux qui ne vont plus en salle tellement c'est devenu infréquentable. Donc je me fais des grandes sessions de cinéma avec ma femme à la maison. Dans les réalisateurs que j'aime il y a les mastodontes Coppola, Ferrara, Scorsese, certains Spielberg. Et puis Sydney Lumet et son Network. Le cinéma français des années 70 avec Boisset ou Granier-Defferre, Blier. Là, en roman, je vais tenter Blackwater. Sinon je lis cet auteur belge, Thomas Gunzig, qui a écrit Le plus petit zoo du monde. C'est génial, c'est absurde. Et je lis aussi Dans la neige ardente d'Olivier Gallien, un roman post apocalyptique façon La Route. Et puis il y a des auteurs dont j'essaye de ne pas épuiser le trésor, comme Jim Thompson. Sans oublier Jean Echenoz dont je viens de lire Méridien de Greenwich, paru en 79, c'est délirant.

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