Littérature noire
22 Juin 2022
Denis Soula est un phénomène. Une façon unique d'écrire les femmes, de se couler dans leurs existences, de les rendre vivantes, tantôt guerrières, tantôt blessées. Et puis il a cette faculté à vous raconter une histoire, complète, pleine, riche en une centaine de pages. Une authentique qualité qui impose l'économie, le mot juste, la syntaxe nette.
Avec Deux femmes (2018), il trace, comme c'est une habitude semble-t-il, deux routes de femmes. Elles sont aux antipodes. La première vit dans un appartement, d'une cité de l'hexagone, avec sa fille adolescente, toutes deux à pleurer le décès, on ne saura jamais comment, d'une soeur plus jeune. Elle est forte pour sa fille restante et trouve son oxygène dans ses longues balades en moto, parenthèses de pur bonheur qui la renvoie à ses jeunes années. L'autre femme, élevée dans une famille traditionnaliste de droite, est une tueuse à gages de la République. Bientôt quinquagénaire, elle solde les dettes de la France un peu partout sur la planète. Plus jeune, au Liban, elle était amoureuse d'un soldat mort dans l'attentat du poste-français, Drakkar. Elle a gardé une haine enfouie contre les commanditaires. Et voilà que l'un d'entre eux, peut-être le dernier, séjourne en France.
Tout comme Amour électrique, paru l'an passé, le style de Denis Soula est une jolie leçon de style épuré. Utilisant la première personne pour chacune de ses protagonistes, l'auteur incarne avec finesse les parcours de vie, évitant les dialogues jusqu'à la fin, les marquant d'une simple italique, il donne une fluidité à sa narration qui est quasi envoûtante. Cela roule, coule, d'abord tranquillement, entre souvenirs et présent, puis tout s'accélère, sans violence gratuite, juste de l'action précise, millimétrée, comme une chorégraphie. Et puis quelle intelligence, de prendre ainsi des clichés attribués aux hommes (les bécanes, la mort sur ordonnance) et de les refiler à deux femmes, manière de prouver, sans discours politique que, oui, on peut rester crédible et interchanger les rôles si on s'en donne la peine. Cela pourrait se lire comme un exercice de style mais c'est vraiment un polar et surtout une superbe histoire de gonzesses, de nénettes qui en ont, des femmes +++.
Deux femmes, ed. Joëlle Losfeld, 113 pages, 12, 50 euros