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The killer inside me

Littérature noire

Les ombres de Katyn : parfum de cadavres et complot en Russie

Quel travail de Philip Kerr ! Quelle masse d'informations, de détails, a-t-il ingurgité pour écrire Les ombres de Katyn (2015) ! Le très regretté auteur écossais ne se contente pas de respecter la chronologie, il va chercher les personnages historiques secondaires de la Seconde Guerre Mondiale, les plante dans le décor, il va retrouver les bons corps d'armées allemandes, russes ou encore polonaises, il déniche des faits passés dans l'ombre des pires tragédies de ce conflit et de tout ça, de cette fortune, il en fait un roman magistral, ultra violent sur le fond mais comme d'habitude avec Kerr, extrêmement intelligent, avec beaucoup de réflexions sur l'homme, le courage, la valeur de la vie.
Tout démarre à Berlin en mars 1943 (année charnière) et Bernie Gunther, l'anti-héros du Bureau des crimes de guerre se prend une bombe de la Royal Air Force sur le coin de la figure. Une fois remis, son supérieur l'envoie du côté de Smolensk dans l'ouest de la Russie pour vérifier une information : des loups auraient déterré ce qui ressemble à un charnier. Gunther toujours aussi peu nazi, va y traîner son vague à l'âme. Dans cette triste partie du territoire occupé, momentanément tout le monde s'en doute, par l'une des trois divisions allemandes chargées d'envahir l'Union Soviétique, il tombe sur une bande d'aristocrates prussiens, tous officiers, qui fomentent un complot contre Hitler. On est quelques mois après la raclée de Stalingrad et la noblesse militaire sent la partie très mal engagée. L'enquêteur du Bureau des crimes de guerre n'en fait pas moins son job. Et effectivement, la fameuse forêt de Katyn renferme plus d'un cadavre de Polonais. Il se pourrait que ce soit des officiers exécutés par le NKVD, les fous sanguinaires de Staline. Goebbels convoque Gunther et lui demande de faire toute la lumière sur ce dossier et d'inviter une commission neutre internationale : le patron de la Propagande nazie espère que l'opinion britannique ou américaine se détournera alors des Bolchéviques.
Mais à Smolensk, il n'y a pas que la terre qui est pourrie. L'atmosphère également. Deux allemands du service téléphone sont égorgés. Puis un docteur russe et sa fille de 15 ans, détenteurs de preuves concrètes sur Katyn, sont torturés et assassinés. Enfin, un légiste espagnol, membre de la commission internationale, est abattue.
Les ombres de Katyn est un autre grand cru de Philip Kerr. Un rythme pas évident à tenir pour une histoire finalement assez statique, mais de nombreux personnages qui multiplient les dialogues et ça, Kerr sait vraiment faire. Et puis, il y a ces différentes assassinats, petite histoire dans la grande, qui alimentent la tension morbide du roman. Parce que, oui, c'est assez noir, terrible comme ambiance. Chaque page renvoie les remugles du chantier mis à jour. Avec, si cela ne suffisait pas, l'omniprésence des mouches d'abord, et celle d'hommes violents, limite psychopathes. Malgré tout, ce Bernie Gunther garde cet humour propre à son auteur, un sens de la répartie tout britannique, un flegme aussi, qui teintent le décor d'un brin de couleurs et crée un délicieux décalage.
Au-delà du roman, il s'agit bien d'un texte remarquable sur l'Histoire, sur l'hypocrisie, le mensonge. Les notes de Philip Kerr en fin de livre sont éclairantes : la Russie ne reconnaîtra le massacre de Katyn (14 500 officiers polonais !) qu'en 1991. Et cette simple info donne aujourd'hui un peu plus de lumières à l'actuelle guerre en Ukraine.

Les ombres de Katyn (A man without breath, trad. Philippe Bonnet), ed. du Masque, 477 pages, 22, 90 euros
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