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The killer inside me

Littérature noire

Lolita Man : douleur et humour dans l'Angleterre de Thatcher

Lolita Man sort donc en 1986 en Grande-Bretagne (15 ans plus tard en France). Bill James a un peu plus de 50 balais, une carrière d'auteur sous d'autres pseudonymes et ce roman est le deuxième de la série Harpur & Iles. Le premier, publié l'année précédente, You'd better believe it (Raid sur la ville), est passé relativement inaperçu. L'auteur gallois ne pensait d'ailleurs pas réalisé une série. Mais voilà, Lolita Man trouve son public, les critiques sont enthousiastes, la machine est lancée.
On est donc ici, aux prémices de ce duo d'enquêteurs anglais, dans une ville jamais nommée. Une collégienne de treize ans est retrouvée morte dans le motel où elle résidait avec ses parents. Violée, tuée avec une incroyable brutalité, c'est la troisième victime de celui que l'on appelle le Lolita Man. Troisième dans le secteur urbain mais dans le comté il y en a eu deux autres. Mais les deux polices ne collaborent pas franchement. Et surtout Iles ne supportent pas ces flics, d'autant qu'ils sont Irlandais et catholiques et que l'un d'entre eux pourrait bien devenir leur chef d'ici quelques mois. Mais voilà justement que la police du comté arrête un suspect. De quoi rendre fou de rage Iles. Harpur, lui, sait intimement que ça ne peut être leur homme. D'ailleurs, la fille d'un couple d'amis, Cheryl-Ann, disparaît soudainement. Harpur met la main sur son journal intime elle y parle de "yeux noirs", une sorte de beau mec ténébreux elle parle de ses voitures, MG, Mercedes... Harpur & Iles font feu de tout bois pour la retrouver, retourne la ville et Cheryl-Ann profite d'un instant de panique de son ravisseur pour s'enfuir.
Incroyable de rythme et de tension, sur une "simple" histoire de pédophile, Bill James tisse un canevas d'une vraie richesse. En grande partie grâce à la personnalité de ses eux anti-héros. Desmond Iles, cynique au possible, haineux parfois ("à quel genre d'avenir vous attendez-vous avec un Irlandais aux commandes ? Ils se soutiennent, les uns les autres, il n'y a qu'eux qui comptent, c'est comme ça et pas autrement. En un sens cette solidarité est admirable. Cela fait partie de leur religion de merde, mon vieux..."), encaissant avec un faux flegme l'aventure de sa femme avec un collègue, n'en demeure pas moins un flic fonceur, soucieux de protéger la société. Même si sa tirade, "j'adore l'odeur des écoles de filles, les écoles de filles de bon milieu", laisse penser qu'il est vraiment frappadingue. A l'inverse de Colin Harpur, plus posé, gérant au mieux sa relation avec une autre collègue, récente veuve d'un policier considéré comme un héros? Un Harpur qui a conclu un pacte quasi libertin avec sa femme, ce qui n'a pas échappé à ses filles : " - et ce n'est pas hygiénique, déclara Jill. - Tu ne penses jamais aux morpions, papa ? "
Mais la richesse de la série et de ce tome en particulier, c'est, par touches très fines, la peinture sociale de cette Angleterre. Un appartement, visité, un quartier perquisitionné et c'est toute la misère qui saute à la gueule du lecteur. Pour cela, Bill James est vraiment fort. Sans insister, avec l'air de ne pas y toucher, il évoque un pays qui semble coupé en deux, avec des familles qui envoient leurs enfants dans de belles écoles privées et un infra-monde qui survit. Ce sont les années 80, les terribles années Thatcher. Lolita Man, comme Big Boss ou Protection est un modèle de vie au coeur d'une enquête, avec ses policiers pas toujours héros, pas toujours à cheval sur les règles, mais bouffés par leur humanité, par leur colère contre ce monde qui tue des enfants. Une sacrée série.

Lolita man (The lolita man, trad. Danièle et Pierre Bondil), ed. Rivages, 295 pages, 8 euros
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