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The killer inside me

Littérature noire

Première : sous les tutus, la violence

C'est un piège. On s'imagne que Megan Abbott écrit encore une histoire de méchantes filles, d'ado perverses, de vengeances version trash du Miel et les abeilles... et puis non, l'autrice parvient à surprendre, peut-être pas à se renouveler, mais à mettre la barre plus haut question qualité de l'intrigue. Première est d'une fine perversité remarquable, une construction parfaite sur un thème qui peut paraître cul-cul (une école de danse !) mais dont elle tire toute la part obscure. Sans doute que le fan de Megan Abbott trouvera des similitudes avec ses précédents romans, puisqu'elle continue de fourrager dans l'esprit des filles et des jeunes femmes blessées, mais celui qui picore de temps en temps dans l'oeuvre de l'Américaine y trouvera plus que son compte.
Les deux soeurs Durant, Marie et Dara, sont nées dans la danse classique. Leur mère, professeur intransigeante, un soupçon psycho-rigide, leur a enseigné cet art et transmis l'école quand, ivre, elle s'est crashée avec leur père. A leur duo, tenant presque de la gémellité, s'est adjoint, quelques années plus tôt, Charlie, même âge ou presque, jeune danseur émérite, recueilli au foyer Durant. Quinze ans après la mort des parents, Dara, Marie et Charlie forme plus qu'une famille. Surtout que Dara et Charlie se sont mariés. Ils vivaient ensemble sous le même toit avant que Marie s'émancipe et installe sa couche dans l'école. Alors que tout le monde prépare le ballet Casse-Noisette attendu par les enfants comme par les parents de cette bourgade de la côte Est, un vieux chauffage met, nuitamment, le feu à l'un des studios de danse. Charlie, au corps brisé par les années de danse, est chargé de trouver le bon artisan qui va remettre cela à neuf. Il tombe sur Dereck, entrepreneur précédé d'une belle réputation. 
Tandis que les enfants s'échinent sur les entrechats de Tchaïkovski, que les jalousies se font jour lorsque les rôles-titres sont distribués, Marie va tomber amoureuse de Dereck. Qui n'est pas qu'un gars tranquille du BTP. Il a maintenant autre chose en tête...
Dans l'apparente banalité du quotidien d'une école de danse, Megan Abbott fait surgir le drame, l'horreur du sang, tout comme le désir, le sexe. Après onze romans, elle sait où et quand il faut appuyer pour accrocher son lecteur, lui faire plier un premier genou. Avant de le mettre définitivement au sol. La construction, donc, de Première est assez prodigieuse, lente mais implacable. Et le vrai talent, c'est d'emporter le lecteur sur une histoire de chaussons et de tutus. Mais c'est vrai qu'Abbott étale aussi toute la violence inhérente à cet art, les pieds cassés, les ongles noirs, les cloques pleines de sang, les dos en miettes, les relents de sueur... à cela s'ajoutent la rancoeur, l'amertume, des danseuses qui n'auront pas eu le bonheur d'être choisies pour être la petie étoile du spectale de fin d'année. De la belle oeuvre, vicieuse comme on aime. Et puis, au passage la traduction est de Jean Esch..

Première (The turnout, trad. Jean Esch), ed. JC Lattès, 418 pages, 21, 90 euros
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