Littérature noire
26 Juillet 2022
Quel bordel la Floride ! Un repenti de la mafia new-yorkaise a installé à Key Largo un parc d'attractions tout craignos pour faire concurrence à Disneyworld. Avec de faux animaux en voie de disparition. Des figurants déguisés en ratons laveurs. Un orque flatulent. Un parc dont la sécurité est confiée à un bodybuilder cubain, bourré de stéroïdes, à la peau constellée de pustules. Et si ça ne suffisait pas comme atteintes au bon goût, le proprio en question lance un chantier de construction de golf sur une zone naturelle, toute proche. Heureusement, il y a quelques voix qui s'élèvent contre ce massacre écologique. Dont Molly McNamara, une riche veuve, à la tête d'une organisation écolo, qui fait enlever les deux campagnols, soi disant espèce rare qui est en fait totalement inventée, pour dénoncer la supercherie. Sauf que les deux bras cassés qui braquent les rongeurs les bazardent sur la quatre voies express. Le parc avait obtenu 200 000 dollars pour le maintien de cette espèce, et la direction est un peu paniquée par cette affaire de vol. C'est à que Joe Winder, ancien journaliste, désormais attaché aux relations publiques de ce Fabuleux royaume du grand frisson, intervient, trouvant les bonnes formules, les mots justes pour calmer la presse, endormir l'opinion publique. Sauf que lui aussi, tout ce cirque commence à le fatiguer.
Miami Park est le quatrième roman de Carl Hiaasen traduit et publié en France en 1994. Et c'est donc un gros bordel. Dès les premières pages, quand une famille de touristes américains reçoit dans sa décapotable, un rat arrivé d'on se sait où, qui met la panique sur la banquette arrière. Rat, qui s'avèrera être le pseudo campagnol du manguier à langue bleu, qu'un policier de la route abattra bien volontiers... Loufoque, dingue, excessif, Miami Park franchit sans barguigner la ligne jaune (le passage sur les gaz de l'orque est à mourir, "le public trouvait cela rarement divertissant"). Mais attention, la charge politique est également considérable. Hiaasen décrit la Floride, qui en doutait ?, comme un état de hors-la-loi. De la corruption, de l'argent public dilapidé, des atteintes à la Nature au nom du dieu Dollar. Surtout, l'auteur attaque au missile sol-air cette industrie du tourisme, dégueulasse il y a 35 ans quand le livre a été écrit, tout comme elle l'est encore aujourd'hui. Le délire des parcs de loisirs, parcs à thème, toujours plus grands, toujours plus débiles. Les touristes, cons comme des manches, les vieux américains prêts à payer une fortune pour des animations bidons, des parades foireuses... bref, Carl Hiaasen y va de bon coeur. On est dans l'outrance et le roman parait parfois un peu long, se prenant un peu les pieds dans les tiroirs de tiroirs. Mais c'est aussi la règle de ces polars floridiens, en rajouter toujours une couche. C'est aussi la différence avec un auteur comme Iain Levison, plus politique que drôle, mais qui a gardé le ton pince sans rire, tout en asséchant considérablement son texte pour faire des romans qui tiennent en 160 pages. Ici, on est sur 410. Mais les amateurs de l'ancien journaliste, bien barge, ne seront pas déçus.
Miami Park (trad. Yves Sarda), ed. J'ai lu, 506 pages, 7 euros.