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The killer inside me

Littérature noire

Solak : violence des hommes par - 50 degrés

Il faut une certaine plume pour rendre la tension d'un huis clos sur la banquise. Un brin de talent et de l'intelligence pour contourner l'absence d'actions, le mutisme des protagonistes et offrir le pourrissement des âmes, l'empoisonnement d'un environnement. Solak, c'est une base arctique avec trois soldats et un scientifique. Oui, trois soldats moins un qui vient de se faire sauter la caboche. Trop de blanc, trop de nuit, trop de rien sans doute. En tous les cas, le voilà remplacé par un tout jeune trouffion. C'est septembre sur la banquise et Piotr, le narrateur, Roq, autre soldat et Grizzly, scientifique, accueille la recrue avec un brin de méfiance d'abord, puis, selon les cas, avec un peu plus d'empathie. C'est que le gosse est muet. Cela tombe bien puisqu'ici les mots sont rares. Chacun des quatre hommes à ses propres raisons pour être un volontaire au coeur de cette terre hostile. Vents coupants, thermomètre jusqu'à - 50, cabanes glacées, danger constant et bouffe dégueulasse. Ah et puis aussi, Roq, sorte de débile profond, con comme un manche, occupé à un trafic de fourrures pour lequel il dézingue ours, ourson, renne, renard... et ça, le gosse il apprécie moyen.
Il faut être fort dans sa tête pour tenir dans une telle configuration. Piotr y est depuis vingt ans sur cette base mais il redoute toujours autant les mois d'obscurité : " le lendemain matin, elle était bien là, main dans la main avec l'hiver comme deux esprits malins qui nous auraient cousu le visage dans notre sommeil. La grande Nuit. "
Ce n'est pas un hasard si Solak a mis dans sa musette plusieurs récompenses dont le prix Claude Mesplède, tout juste créé. Ce n'est pas un hasard parce que ce premier roman est d'abord d'une belle originalité et d'une sacrée audace encore une fois. Surtout, il est sacrément écrit. Caroline Hinault ne fait pas dans l'esbrouffe, si elle plie la syntaxe c'est pour mieux la faire entrer dans les bottes fourrées de Piotr, soldat perdu et névrosé. Il n'y a pas de tics, juste un propos qui colle au narrateur, faisant foin des virgules ou des adverbes : c'est du brut, du direct. Et ça fonctionne.
Sortons les grands mots, il s'agit d'un roman noir psychologique, très intériorisé. En même temps, des deals de came ou des poursuites en Corvette sur la banquise, c'est pas facile. Mais voilà c'est la singularité de Solak et sa réussite. Et c'est aussi un roman de vraie réflexion à travers ce Piotr revenu de tout qui, dans une scène où il raconte ses collages de journaux depuis vingt ans, balance sa petite philosophie de la vie. Elle vaut ce qu'elle vaut sa leçon sur l'existence mais elle donne un joli relief à ce drame glacé. Et bien sûr, maintenant on attend le prochain Caroline Hinault.

Solak, ed. Rouergue noir, 124 pages, 15 euros
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F
La découverte de l'année. Elle a acceptée deux interviewes, voici la première sur bbb :<br /> https://broblogblack.wordpress.com/2022/08/05/8132-les-zad-de-caroline-hinault-qui-est-le-loup/<br /> Merci poru vos conseils de lecture.<br /> François Braud
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T
Merci pour le lien François.