Littérature noire
16 Août 2022
Eden est un Navy Seals, un colosse de 100 kilos, soldat rompu aux techniques d'interrogatoires par l'ennemi. Mais lorsque son véhicule saute sur une mine, quelque part dans le nord-est de l'Irak,, il ne reste plus grand chose de son corps de gaillard. Brûlé, déchiqueté, membres arrachés, c'est un homme tronc qui est ramené en Amérique, aux services des grands brûlés de l'hôpital de San Antonio. Mary son épouse, la mère de sa fille Andy, d'un an à peine, est à son chevet, foudroyée. Mais il y a aussi, comme un ange gardien, une présence, son ami, mort lui, dans l'explosion de leur Humvee, là-bas en Irak.
Privé de la parole, ne voyant que des ombres, des tâches, Eden est parfois conscient. Et dans son délire, sa plus grande crainte, sa peur infantile, demeure les blattes. Et il en imagine des dizaines, des centaines qui grimpent sur son lit de souffrances. Un cauchemar qui le fait convulser. Pour seule échappatoire, il se souvient du code appris en formation, et, avec ses dents, il claque inlassablement FIN, FIN, FIN...
2034, sorti en janvier dernier, était tellement impressionnant, qu'il fallait en savoir un peu plus sur Elliot Ackerman. En attendant Eden est d'un tout autre tonneau. D'abord parce qu'Ackerman a écrit seul cette fois mais aussi parce qu'il s'agit d'un roman qui n'a que la guerre pour cadre. Foncièrement, il s'agit d'une histoire d'amour, une histoire un brin torturée, avec, comme question centrale, ce qu'il peut rester d'une passion quand l'autre ne peut plus communiquer, peut à peine respirer. C'est également toute la réflexion sur ce qui fait de nous des êtres humains, notre dignité. L'idée est séduisante mais elle fait tellement penser au merveilleux film de Donald Trumbo, Johnny got his gun (1971... qui est aussi un roman du même Trumbo) que cela en devient troublant. Si Trumbo place cela durant la Première guerre mondiale, son personnage de Joe n'en utilise pas moins, lui, le morse, en tapant sa tête sur son oreiller, pour que l'on mette fin à son agonie. Et Ackerman comme Trumbo raconte en premier lieu l'enthousiasme de ces soldats, leur forme d'innocence. Mais là où le film-roman de Donald Trumbo est puissamment anti-militariste, En attendant Eden tourne plus autour de la romance du couple, de sa difficulté à avoir un enfant.
Il y a également quelques tournures, pas forcément très réussies, " il pensait au bracelet qui avait fini par lui être familier, marqué en un endroit par lui et en un autre par l'instructeur", " et il se mit à faire la chose que je lui avais gâchée des années auparavant, dans ce camp"...
Au final, une déception.
En attendant Eden (Waiting for Eden, trad. Jacques Mailhos), ed. Gallmeister, 150 pages, 20, 60 euros