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The killer inside me

Littérature noire

Mendiants et orgueilleux : politique du renoncement

Ce n'est pas l'éloge de la paresse mais c'est une culture de la joie et du renoncement. Sept années après Les fainéants dans la vallée fertile, en 1955 donc, Albert Cossery continue d'ensemencer son sillon du farniente, doublé cette fois d'une vraie recherche de la paix, possible seulement dans un dénuement total. A l'image de Gohar, le personnage principal de Mendiants et orgueilleux, ancien philosophe qui a quitté les salles de l'université (du Caire ?) pour faire le comptable dans une maison close, de quoi juste payer le loyer de sa chambre vide et aussi quelques boulettes de haschich. Bien entendu le lien avec Diogène saute aux yeux. Mais si, comme le Grec, Gohar se montre anticonformiste, il n'est pas cynique et se montre plutôt bienveillant. Excepté lors de ce moment de folie avec une prostituée qu'il étrangle pour lui voler ses bracelets qu'il imagine en or massif. Las, c'est du toc. Mais, parce qu'il faut bien une intrigue, le meurtre attire sur la communauté de mendiants, l'oeil inquisiteur d'un policier pédéraste, lassé de toute la crasse qu'il côtoie au quotidien. L'enquêteur se penche sur l'alibi de Yeghen, l'ami affreusement laid de Gohar, adepte lui aussi du dénuement. Il y a aussi El Kordi, jeune fonctionnaire, dragueur invétéré et persuadé d'incarner une forme de révolution contre le pouvoir de l'Etat.
D'une grande profondeur, le roman de Cossery ne manque pas non plus de provocation, brandissant le renoncement face à cette société injuste et corrompue. Mais il n'y a pas réellement de discours, encore moins de dogme. L'auteur s'applique à montrer la folie de cette vie, entre l'horreur (les eaux pour nettoyer le corps d'un mort qui passent sous la porte de Gohar) et le cocasse (un homme-tronc qui fait jouir sa femme au physique de camionneur). La rébellion, la colère, sont incarnées par El Kordi, " l'angoisse qu'il éprouvait à gâcher sa jeunesse, entouré par cette pourriture glorieuse et infatuée d'elle-même, engendra en lui une haine implacable. Irrésistiblement, des projets de meurtre germaient dans son esprit. "
Roman des corps, des odeurs, de la promiscuité, Mendiants et orgueilleux peut encore se targuer de ce sens des dialogues assez incroyable chez Cossery. Derrière une extrême politesse et des expressions comme Excellence ! ou Mon bey !, se dissimule une ironie, une pique, un double sens qui n'échappe ni aux lecteurs, ni aux personnages du roman. Mais les dialogues sont aussi là pour servir quelques vérités, quelques convictions de l'auteur, comme lorsque Gohar s'exclame : "mais l'homme est devenu une fatalité pour ses semblables. L'homme est devenu pire qu'un tremblement de terre. En tous cas, il fait plus de dégâts. "
Roman aux accents philosophiques et politiques (ne plus posséder, ne plus consommer, ne plus travailler), Mendiants et orgueilleux est un délice de fausse légèreté, un hymne à cette simplicité que recherchent Gohar et ses amis. Un livre phénomène.

Mendiants et orgueilleux, ed. Joëlle Losfeld, 240 pages, 16, 50 euros
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