Littérature noire
23 Août 2022
Pas de regrets, la nostalgie c'est de la barbouille sur les souvenirs. " Patrick Pécherot revient en cette rentrée avec Pour tout bagage, et il a décidé de mettre quelques petits trucs au clair. D'abord, question style, question écriture Paname et faubourgs, il en avait encore sous le pied. La gouaille, le vocabulaire, les expressions de Pécherot se révèlent plus efficace que le meilleur masque anti-âge à la graine de goyave ! C'est riche, c'est coloré, c'est fin. On pourrait autant penser à Audiard qu'à Bertrand Blier. Sans jamais tomber dans le cliché ou dans le c'était mieux avant, il l'assène avec force : " reprendre le chemin de l'école, c'est la grande illusion. Jamais ne reviennent le goût des Malabar, l'odeur de la cour et celle des marronniers. On renifle des parfums de synthèse en faisant semblant de rien mais ils sont bien pourris. "
Et si il n'est pas question de nostalgie, Pour tout bagage n'en file pas moins quelques coups de canifs dans les petits coeurs du lecteur. Parce que l'histoire ! Celle de cinq jeunes amis qui à 17 ans, dans les années 70, se rêvaient Che Guevara et Armée rouge. Yvon, Paul, Antoine, Arthur (le narrateur) et Sylvie naviguent de Léo Ferré à Truffaut, de Bob Dylan à José Artur. " L'enlèvement d'un banquier allait allumer nos mèches " Les jeunes révolutionnaires vont se transformer en petits cons meurtriers. Par un concours de circonstances, ils ne seront pas inquiétés. Quarante plus tard, Arthur continue de penser à Edmond, l'homme qu'ils ont abattu. Avant de mourir, Paul lui apprend qu'il a reçu les premiers chapitres d'un livre anonyme qui révèle le nom des assassins de l'infortuné Edmond. Qui ? Et pourquoi ? Arthur rend visite à ses anciens amis, ceux qui sont encore de ce monde, ceux qui ont survécu aux utopies, aux bastons avec les flics, aux tractages, aux occupations d'usines.
Patrick Pécherot a l'immense mérite de choisir une narration à peine syncopée, à base de photos, de kodachromes, pour saisir des ambiances, des instants, et les légender. C'est fort, cela donne du rythme et une vie incroyable. Mais Pour tout bagage est avant tout un roman sur cette époque riche de rêves comme d'illusions. Et il y a de quoi se pincer quand on songe à l'énergie qui traversait la jeunesse hexagonale. D'accord, c'était pas mieux avant. Mais, ça avait quand même l'air pas mal du tout. Pour tout bagage se termine sur cette note sombre qui met aussi en perspective bien des idéaux, qui laisse penser que le mensonge n'est jamais bien loin des idéaux. Un putain de bon bouquin.
Pour tout bagage, ed. La Noire, 169 pages, 16 euros