Littérature noire
9 Septembre 2022
Pierre Savidan a été élu Président de la République d'une courte tête face au candidat de l'extrême-droite. Ancien youtubeur en conseils environnementaux, président d'une association dont les stages ont aussi fait son succès populaire, il n'est pas un véritable homme politique mais bien un militant écologiste. Et, arrivé au pouvoir, il n'est pas du genre à mettre de l'eau dans son vin. Il instaure le Scoring écologique individuel, une mesure de l'impact de chaque citoyen sur la planète. Plus le SEI est bon et moins vous payez d'impôts. A bannir : les déplacements en avion, la consommation de viande, les enfants... Face à ces lois brutales, le pays se fracture. Aidé par son "âme damnée", Fanny Roussel, Savidan ouvre de nouveaux centres PAIRE, des lieux de "résidence" pour apprendre à améliorer son SEI. En réalité, des sites de rééducation par la contrainte. Olivier Fleurance, le riche PDG de la Compagnie du lait, vient de perdre sa femme et son fils à peine né, lors d'une manifestation violente. Visé par diverses enquêtes pour pollution industrielle, il décide de contre attaquer. Dans une ambiance pourrie, où des éleveurs et des amateurs de brochettes organisent un barbecue qui dégénère devant L'Elysée, le président met en oeuvre l'article 16 de la Constitution lui donnant les pleines pouvoirs. " Les addictions ne se traitent pas dans la demi-mesure mais dans la souffrance du manque. Pourquoi en serait-il autrement pour ces millions de Français qui sont, sans même s'en rendre compte, sous perfusion permanente de petits plaisirs engendrés par un mode de vie devenu dément ? "
Thomas Bronnec frappe fort avec Collapsus. Une politique fiction qui ne se veut pas si fiction que cela, posant clairement des éléments temporels qui font dire aux lecteurs que si cela ne se passe pas aujourd'hui, ce peut être demain. Même pas après-demain. Collapsus frappe fort d'abord parce que ce coeur de mandat écologiste hardcore déraille doucement et violemment. Oui il y a ce souci écologique, cette angoisse de l'avenir. Mais comment réparer sans malmener un peuple ? Au bout de trois ans de privations, de décrets, de lois, une partie des Français se lassent, grondent, réclament le retour des libertés. Là aussi, Bronnec tape dans une réalité toute récente et les manifestations qui avaient suivi les couvre-feux, les confinements. Alors oui un instant le lecteur se dit "mais non, le Président ne peut pas faire cela ". Sauf que si. Parce que comme le dit un des personnages " nous autres, juristes, avons toujours su que la Constitution de la Ve République portait en elle les germes d'une dérive autoritaire. " Inutile d'éplucher pendant deux jours les textes légaux, l'auteur s'est fait aider par deux professeurs de droit. Et sans rien dévoiler, il y a, et ça pas besoin de faire de la science-fiction, une dérive populiste et violente, type trumpiste, qui s'empare de la France, dans un final très réussi. D'ultimes scènes, observées depuis un café, qui donnent une vraie dimension tragique au roman. On peut s'interroger sur la démarche de l'auteur qui, peut-être sans le vouloir, décrédibilise ou a minima, sonne l'alerte sur les discours écologistes, les positions ultra orthodoxes. Mais de récentes déclarations de certains élus de ces mouvements très divers, prêtent aussi, il est vrai, à polémique. Certains lanceront à Bronnec que le vrai danger politique en France ne vient pas des Verts. C'est aussi sa liberté de prendre un autre point de vue. Surtout quand il est écrit ainsi. Parce que rien ne paraît irréaliste dans ces 460 pages.
C'est carré. Et ça fait frémir. Rendant Collapsus encore plus tendu, tombant dans une politique sale, paranoïaque. Et c'est bien là toute la saveur du roman. Et même la petite amourette clandestine est finement dessinée, juste cliché comme il faut.
Après l'excellent Les derniers jours des fauves, de Jérôme Leroy, un roman politique bien flippant, bien réaliste. On ne pourra pas dire que l'on n'était pas au courant.
Collpasus, ed. La Série Noire, 462 pages, 20 euros