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The killer inside me

Littérature noire

Un profond sommeil : sociologie d'un Sud oublié

Le thème de la disparition d'un enfant est presque éculé dans la littérature noire mais a donné quelques romans d'une incroyable force des deux côtés de l'Atlantique. Et on peut penser ainsi aux Coeurs déchiquetés d'Hervé Le Corre ou bien à Ce que savent les morts de Laure Lippmann. Pour n'en citer que deux. Il faut admettre que c'est un thème qui permet de creuser les plus grandes douleurs comme de sonder une injustice universelle.
C'est sur cette base que démarre Un profond sommeil de l'autrice sudiste Tiffany Quay Tyson. En y mettant très vite, les éléments d'originalité qui évitent aux lecteurs un sentiment de déjà vu ou déjà lu. Bert, quatorze ans et Willet, son frère de seize ans, subissent la canicule humide de White Forest, delta du Mississippi. On est en 1976, l'été du bicentenaire et ils sont seuls avec leur mère et leur petite soeur, Pansy. Seuls, parce que leur père court dans tout le sud du pays pour refiler les kilos de faux billets qu'il a fabriqués et qui permettent à la famille de vivre. Sous cette chaleur, Willet et Bert décident d'aller se baigner à la carrière : un grand trou, creusé par des esclaves il y a cent ans, alimenté par une source souterraine. Ils emmènent Pansy. Mais ça se passe mal. Les deux grands s'éloignent, Pansy est seule dans l'eau et lorsqu'ils reviennent, elle a disparu. Panique. Angoisse. Le lac est sondé. Les témoins entendus. Dans l'orage violent qui a frappé ce jour-là, Bert est persuadée d'avoir croisé une drôle de créature. Elle se sent trop stupide pour en parler. Mais elle sait qu'elle a vu Bubba, l'ami de son frère. Complètement allumé, il affirme que ce sont les extra-terrestres qui ont enlevé Pansy. Les jours passent, la mère devient folle puis prostrée quand Bert et Willet, eux, tombent petit à petit dans la culpabilité. Et le père qui ne donne toujours pas de nouvelles... Au bout de quelques mois, le grand frère décide d'abandonner le lycée et de travailler sur les chantiers de la région, pour tenter de retrouver sa soeur hors de White Forest. Bert rejoint sa grand-mère Clem, avorteuse, guérisseuse et femme pleine de sagesse, de générosité. Et de mystères, forcément.
Tiffany Quay Tyson, dans les pas de cette ado Bert, assoiffée de vérités, trouve le ton juste, le regard parfait pour décrire l'explosion d'une famille face à une tragédie pareille. Entre visions cauchemardesques, croyances populaires et ambiance rurale, Bert se révèle aussi une jeune fille aussi fragile que caractérielle. Mais au-delà du spectre familial, la richesse d'Un profond sommeil tient aussi dans l'histoire de Clem et à travers elle, de cette partie des Etats-Unis : ségrégation, fuite, lynchage mais également situation des femmes, des jeunes femmes, mises enceintes par des garçons, des hommes, soit inconscients, soit tout puissants. C'est cette radioscopie du Sud qui est passionnante, ce monde à part, comme sans doute un tas d'autres Etats du pays. Enfin, l'autrice donne un dernier élan à son roman, en le déplaçant de quelques milliers de kilomètres à l'est, vers la région des 10 000 îles, sur la côte sauvage de la Floride. Un roman plein de larmes, d'espoirs, de femmes fortes. Et de moustiques. Une réussite. Pour ne rien gâcher, la couv est splendide.

Un profond sommeil (The past is never, trad. Héloïse Esquié), ed. Sonatine, 390 pages, 22 euros.
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