24 Novembre 2022
Ari est un jeune maori de huit ans et il a une passion pour les pansements. Une fixette dirait-on. Dès qu'il a un peu mal quelque part, il s'en colle un. Ou ceux. Quand il entend son oncle frapper sa tante Kat dans la chambre à côté, il met un sparadrap sur sa bouche, pour ne pas crier. Sur ses paupières, pour ne plus pleurer. Il y a quelques semaines, ses parents sont morts dans un accident de voiture et c'est son grand-frère adoré, Taukiri, 18 ans, qui l'a emmené à la ferme de la tante avant de partir. Parce que Taukiri a déjà du mal à subvenir à ses propres besoins. Il fait la manche en jouant de la guitare, tente de travailler dans une usine de coquillages. Et dort dans sa voiture. Tous les deux sont les derniers fruits d'une famille marquée par la violence intraconjugale, la boisson, la drogue, les trafics. Jade, la mère, a tout fait pour échapper à un destin de misère et a pensé, un moment, pouvoir refaire sa vie avec Toko, beau maori, issu d'une famille aimante, mais le passé toxique de Jade l'a rattrapé. Dans une Nouvelle-Zélande, loin des cartes postales, Ari, miné par sa séparation avec son frère, tente de vivre son enfance entre un oncle violent, une voisine adorable et un chien mangeur d'abeilles. Taukiri fait son possible pour ne pas prendre les mauvais chemins de la vie mais son tempérament ne l'aide pas tout le temps.
C'est une grosse claque que balance Becky Manawatu avec son premier roman, Bones Bay. Si l'histoire de la famille déstructurée et violente peut apparaître comme un lieu commun de la littérature noire, l'autrice y insuffle autant d'innocence, à travers Ari, que de sordide brutalité, avec des hommes alcooliques, toxicos, nuisibles. Ce qui fait de Bones Bay un roman à part, c'est également toute sa dimension culturelle et son attachement à la culture maori. Clairement, ce peuple n'est pas totalement épanoui dans ces 430 pages : on retrouve là, toute la misère sociale qui menace les natives, qu'ils soient amérindiens, aborigènes... Manawatu ne se prive pas néanmoins d'évoquer la langue maori mais aussi toute la poésie qui va avec, un monde onirique, fait de croyances naturalistes. Bien sûr, de quoi créer un décalage puissant avec la cruelle réalité du XXIe siècle. Enfin, l'autrice parvient, dans le chaos de ces vies à faire sentir la puissance des liens familiaux, l'attachement d'un enfant pour sa grand-mère, d'un neveu pour sa tante, d'une soeur pour son frère. Un roman social percutant, un vrai style et des personnages magnifiques (au premier rang desquels le couple d'enfants Ari et Beth) font de Bones Bay une totale réussite.
Bones Bay (trad. David Fauquemberg), ed. Au vent des îles, 428 pages, 23 euros