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The killer inside me

Littérature noire

Le dernier parrain : la fin d'un monde... dans le sang

Et c'est ainsi qu'a débuté la tragédie qui nous empoisonne l'existence depuis trente ans. " Attention réédition monstrueuse du Dernier Parrain, chez Sonatine ! Sorti en 1996, chez JC Lattès, le roman était devenu quasiment introuvable. C'est donc un grand bonheur de pouvoir se replonger dans l'un des chefs-d'oeuvre de Mario Puzo, l'auteur, on l'oublie parfois, du Parrain, roman paru en 1969 et qui resta presque une année en tête des ventes outre-Atlantique, avant que Francis Ford Coppola réalise la trilogie que l'on connaît tous. Films sur lesquels Puzo intervint au scénario, décrochant au passage une paire d'oscars.
Mais là il s'agit donc du Dernier parrain. The last Don en VO. Dans un entretien à la télé américaine, l'auteur assurait que le roman était " moins romantique " que le Parrain. Il y a de ça effectivement, tant ces 600 pages abondent en psychopathes, en assassinats, en violences en tous genres et corruption.
Entre New-York, Las Vegas et Los Angeles, au mitan des années 90, Mario Puzo dresse le portrait d'une mafia finissante mais aussi d'une société américaine qui tourne une page.
Il y a Don Domenico Clericuzio, capo du clan, âgé de 80 ans, en sécurité dans son enclave du Bronx d'où il dirige tout avec ses trois fils. Il y a Alfred Gronevelt , vieux patron du Xanadu, l'un des plus grands hôtels-casinos de Vegas, dans lequel les Clericuzio ont obtenu 50% des parts après leur guerre contre les Santadio. Et puis il y a Eli Marrion, grand vizir des studios Loddstone, machine à succès, machine à gros cash. Don Clericuzio a laissé tomber le trafic de drogues, trop dangereux et s'est concentré sur les jeux, qu'il espère un jour voir légaliser dans tout le pays, histoire que la famille intègre enfin la société légale. Mais pour assoir ce pouvoir, il a fallu se débarrasser des Santadio. Une guerre qui a vu son gendre, le mari de sa propre fille, être exécuté, juste après que son fils, Silvio, ait été abattu par les frères de Jimmy. Grand artisan de ce massacre, Pippi de Lena, neveu du parrain a hérité des parts du Xanadu. Il y élève son fils Cross, tandis qu'à New-York, Don Clericuzio, s'est occupé de Dante, l'enfant que sa fille, devenue schizophrène depuis la guerre avec les Santadio, a eu avec Jimmy. Au début des années 90, Cross et Dante sont des jeunes adultes. Le premier gère le Xanadu et lorgne du côté d'Hollywood où sa soeur travaille comme scénariste. Le second, bien plus sanguin, est entré dans l'armée des hitmen du clan. Et les deux, malgré leur sang commun, malgré le parrain, vont finir pas se défier et s'affronter.
C'est une saga comme on les aime, où l'auteur prend le temps de bien installer ses personnages, son ambiance et son intrigue. Mario Puzo a 76 ans quand il écrit Le dernier parrain et il connaît son job. Un peu de romance, entre Cross et la belle actrice Athena, un peu de glamour pervers avec Hollywood et une narration millimétrée, crescendo. Evidemment que c'est efficace, que ça fonctionne. Parce que la tragédie dont parle Don Domenico est vicieusement grecque, avec un secret trempé de sang, une veuve rendue folle et deux rejetons qui vont payer les pots cassés. Il ne s'agit toutefois pas seulement de mafia, et de clichés siciliens ici. Habitué d'Hollywood où il a entre autres fréquenté Michael Eisner, Mario Puzo peint un monde du cinéma absolument dégueulasse, avec des machos qui ne parlent, il faut bien le dire, que de cul (réellement) et d'argent. Chaque personnage, du tueur à gages sicilien rapatrié dans un pavillon de chasse, à l'acteur en bout de course, bénéficie d'un portrait complet, saisissant et réaliste. C'est aussi l'avantage d'un roman de 600 pages. Dans cette galerie, il y a entre autres, un écrivain, à succès, plumé par Hollywood. Comme si Puzo connaissait bien le problème. Dans la même interview à la sortie du roman, il évoquait ainsi Winston Groom, auteur de Forrest Gump qui avait touché des nèfles malgré le succès du film...
Le dernier parrain fait partie de ces romans rares, solides, qui dissèque tout un système, avec une pincée de fiction et un grand sens du réalisme (le flic Losey pourrait sortir de chez Ellroy). Ce qui est beau, aussi, c'est de se dire que Mario Puzo, enfant de Hell's Kitchen, a écrit tout cela à partir de petits faits divers recueillis ici et là. Il n'a jamais fait partie de la mafia, ni eu un parent dans le crime organisé. A peine un ami, proche, à l'époque de Crazy Joe Gallo. Cela prouve aussi que pour (très) bien écrire sur le milieu, pas besoin d'être flic, juge ou journaliste : il faut d'abord avoir du talent.

Le dernier parrain (The last don, trad. Dominique Defert), ed. Sonatine, 617 pages, 24 euros
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