Littérature noire
19 Décembre 2022
" Le pavillon le plus proche hébergeait un couple de retraités. S'ennuyant à survivre, ils accueillirent les policiers avec joie. Ils offrirent à boire aux deux inspecteurs qui, comme à la télé, refusèrent, étant en service. Les deux vieux jubilaient, la réalité égalait la fiction. "
1977, Joseph Bialot publie, si je ne me trompe pas, son premier polar, Le salon du prêt-à-saigner, à La Série Noire, empochant dans la foulée, Le Grand Prix de littérature policière.
C'est que Bialot a plus de 50 printemps lorsqu'il écrit enfin. Et son style est déjà affûté, bienveillant avec les malheureux, parfait dans les bastons, sans jamais se départir d'un petit trait d'humour, d'une digression. Il serait fastidieux de répertorier les trouvailles de ce Salon du prêt-à-saigner mais, toutes les dix pages, le talent de l'auteur se fait sentir, jamais envahissant, plutôt comme une complicité avec son lecteur, forcément de mèche.
Ce premier roman raconte l'enquête de la PJ parisienne après un, puis deux, trois meurtres au couteau dans le quartier du Sentier. Les trois cadavres portent la marque du même assassin. Tandis que les policiers pataugent dans les filatures, Josip, un Serbe plutôt sanguin, tente de faire cracher au bassinet une famille de Turcs. Ses menaces vont se retourner contre lui et c'est un engrenage mortel qui se met en route.
L'enquête, les meurtres, le racket sont l'occasion pour Joseph Bialot de parler avec une certaine tendresse de ce quartier qu'il connaît comme sa poche puisque ses parents y tenaient boutique. Le décor de la confection est assez incongru mais bien sûr cela fonctionne sans souci. C'est le talent aussi des grands stylistes, de la plume, de vous faire entrer dans des univers a priori lointains, étrangers. Le joyeux vocabulaire de Bialot (découverte du vît !), son élégance (" les murs suintaient de mélancolie "), son rythme aussi, font de ce premier roman un formidable témoignage de la vitalité du polar français dans les années 70. Oui, on pense, sans doute facilement, à Manchette. Peut-être aussi à Echenoz. Bref, c'est du beau.
Le salon du prêt-à-saigner, ed. Carré Noir, 247 pages