Littérature noire
22 Décembre 2022
Jill et Dennis se détestent. Le couple vit pourtant dans une belle maison, baptisée Carthage, dans le secteur résidentiel d'une ville de province anglaise. Mais la haine les consume. Enfin, surtut chez Jenny qui s,'en ouvre, par lettres, à sa mère : elle soupçonne d'ailleurs son mari de surveiller son courrier et fait tout adresser chez sa voisine ! Lui, de son côté, écrit à son frère pour lui demander conseil. Et puis également à une ancienne copine en Afrique du Sud, la pressant de revenir en Angleterre. Il y a aussi une Anna qu'il a rencontrée à Londres à l'occasion d'un tour à la cinémathèque pour approfondir ses recherches sur.... Alain Delon. Bref, Jill et Dennis, ce n'est pas la joie. Sauf le week-end : l'épouse explique ainsi à sa maman qu'ils organisent des réunions qui sont en fait... des partouzes. " la fête s'est raisonnablement bien déroulée - bonne camaraderie dans l'ensemble, sans violence ni production de sons bestiaux, chacun prêt à donner et à reçevoir ainsi qu'il convient. On prétend que les strings seront bientôt passés de mode, je ne sais pas..." Dennis franchit ensuite un cap quand il commence à avoir des doutes sur la loyauté de sa femme. Il l'a fait suivre. Et apprend qu'elle voit un homme, dans une Volvo. Elle aurait même une relation avec un vagabond, croisée à la bibliothèque.
Ces Lettres de Carthage sont d'une perversité toute british et d'une intelligence insoupçonnable. Bill James, abandonnant ici son duo de Harpur & Iles, offre un modèle de jeu avec le lecteur, forcément inclus dans sa narration, puisque lisant autant les lettres du mari, que de la femme, voire de la mère, de la voisine. C'est savoureux à souhait. Mais aussi gravement schizophrène quand Jill parle de son mari détestable puis, dans la même ligne, évoque l'Irak ou encore les températures clémentes pour la saison. Une Madame Bovary version Xanax, absolument délicieuse. Bien sûr, que la lecture est très spéciale, surtout originale, et le talent du Gallois, c'est de maintenir la tension, en gravissant lentement les échelons du drame conjugal. Jusqu'à une conclusion façon tacle par derrière, mais les deux pieds sur le ballon.
On savait Bill James doté d'une grande finesse dans sa série policière, on le découvre d'une toute aussi belle délicatesse dans l'observation des rapports homme-femme, même si on lui souhaite de ne pas avoir connu ce genre de situations. Lettres de Carthage est magistral, au sens du cours magistral. On y rit beaucoup, de cet humour tellement décalé. On tremble un peu aussi en songeant à la jalousie, la haine, l'ennui qui peuvent miner un couple.
Lettres de Carthage (Letters from Carthage, trad. Fabienne Duvigneau), ed. Rivages, 210 pages, 18, 50 euros