Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Rétiaire(s) ou Sisyphe en banlieue

DOA revient aux affaires avec énergie. Et efficacité. Rétiaire(s) contient tout ce que les amateurs de Citoyens clandestins et Pukhtu appréciaient : une intrigue sans cesse en mouvement, des services de police multiples, une voyoucratie régnante et puis des armes, fusils automatiques, armes de poing en tous genres. Dans la postface, DOA raconte la genèse de ce nouveau roman, comment il avait imaginé et écrit une série pour France 3 en compagnie e Michael Souhaité. Projet abandonné par la chaîne mais repris par DOA pour en faire un roman. L'auteur confie être partie, au tout début, sur une idée proche de The Wire, " notre modèle, un idéal hors de portée mais que nous allons néanmoins viser ". Et effectivement, l'auteur s'approche de l'épaisseur des personnages de la série US, de leur ambiguïté également. Il y a d'abord Théo Lasbleiz (un peu Jimmy McNulty de chez David Simon), chef de groupe chez le stups. Sa femme et sa fille ont été abattues par des voyous au cours d'une opération qui le visaient, lui. Ecrasé de vengeance, dans la scène d'ouverture de Rétiaire(s), il abat le coupable en plein transfèrement vers le bureau d'une juge. Direct les boeufs-carottes, la Santé quartier VIP. Ce qui ne lui évitera pas les rapides inimitiés du reste de la maison. Côté forces de l'ordre, il y a la gendarme Amélie Vasseur, seconde de l'office anti-stupéfiants. Elle aurait pu être la patronne. Mais c'est une femme. Elle ronge son frein, sans amertume, possédée par sa mission. Côté voyou, bienvenue chez les Cerda, troisième génération de nomades yéniches venus de l'est. Installés à Romainville, et dans quelques apparts de luxe de la capitale tout de même, ils ont prospéré. Pas toujours dans la légalité. Il y a peu, le père, Marco et l'un des fils, Rico, ont été abattus après une sale embrouille de cargaison de cannabis volée. Momo a repris le flambeau avec autorité. Sous les yeux jaloux de son demi-frère, vrai débile et vraie brute, Manu. Et ceux, moins jaloux et plus admiratifs, de sa jeune nièce, Lola. Mais Momo a vrillé : au retour d'un rendez-vous d'affaires en Espagne, il s'est emplafonné au volant de sa Mercedes... avec des faux papiers. Le voilà à la Santé. Voisin de cellule de Théo Lasbleiz. Son incarcération n'empêche pas le clan de faire tourner le business. En plein Covid, ils tiennent un club hypra chicos. Attendent l'arrivée d'une cargaison de cocaïne en direct de la Bolivie. Et organisent la riposte contre un gang de La Courneuve.
Rétiaire(s) est jubilatoire dans, 1) sa construction tortueuse; que ce soit au sein de la police ou chez les caïds, rien n'est linéaire ou droit, il faut prendre des raccourcis ou, au contraire, des détours pour arriver à ses fins. Cela donne des imbrications mais aussi une vraie tension quant à la finalité des intentions des uns et des autres. 2), son style. On est un peu habitué maintenant au langage très technique de DOA qui se repaît des formules de la procédure policière et judiciaire. Mais là, il s'amuse aussi beaucoup avec le sabir des caïds, créant un décalage pour le lecteur qui met parfois un temps à bien saisir les sens, les implications de certains mots. Tout cela pour plus de réalisme. L'effet The Wire encore.
Et si Rétiaire(s) est tellement bon, c'est évidemment par l'ampleur romanesque de l'intrigue. Avec un Théo Lasbleiz magnifique en flic crucifié, sacrifié et manipulé. Un personnage XL dans ses peines, ses colères, ses douleurs, ses abandons. L'incarnation, non pas du ripou parce que ce n'est aussi simple mais " il y a la règle et il y a les principes, parfois la première perd de vue les seconds. Ce Théo, c'est le genre à avoir gardé des principes. " La jeune Lola claque également bien dans ce décor : étudiante sérieuse, son sang ne saurait mentir et elle s'implique à fond dans le business familial, au point de vouloir incarner la future autorité et de s'opposer à son oncle Manu dans une belle scène de fête clandestine. Bémol sur sa longue scène de tir, justement un peu longue.
Alors voilà, à la fin de Rétiaire(s), on se dit que la télé française est sans doute passée à côté d'un bon matériau, en tous les cas quelque chose d'un peu plus fouillé que la sauce rancie que sert Olivier Marchal depuis quelques années et les autre scénaristes tricolores du petit écran. En revanche, les lecteurs ont gagné un polar très XXIe siècle, avec un vrai éclairage sur les gangs, la banlieue, le fonctionnement des services, les routes de la came. Et côté flics ou côté monde criminel, survivre n'est vraiment pas gagné. Quant à rendre la justice...

Rétiaire(s), ed. La Série Noire, 411 pages, 19 euros
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article