24 Mars 2023
Il a là Jimmy-neuf-pintes, Keane-le-singe, Mickey-le-Tabouret, Tête de chou-McAteer, McCanny la Gerbe, Feely la Touffe... tous et toutes clientes de Salé, Pané, Frit !, le fish and chips du quartier catholique d'Aghybogey en Irlande du Nord. C'est dans ce snack nocturne que travaille Majella, 27 ans, quelques rondeurs, un père absent, une mère dépressive et alcoolique et une grand-mère qui vient de mourir après une agression sauvage dans sa caravane. La vie n'est pas rose pour Majella, elle n'est pas totalement noire non plus. Parce que si le district d'Aghybogey affiche le plus gros taux de chômage parmi les catholiques du pays, grâce à son petit job, elle peut croiser du monde, des habitués bien sûr dont elle connaît les vies, les aventures. Ce n'est rien de folichon, c'est la vie dans une ville de province irlandaise, mais ça occupe l'esprit. Surtout, elle se sent comme à une place centrale dans l'existence de cette communauté fruste, qui pense à descendre des pintes, rire, au sexe vite fait dans les arrières cours et à la politique. Le quotidien de Majella est ainsi parfaitement rythmé, entre sa prise de service à 17 heures, les premiers clients, la fermeture du pub voisin qui ramène tout le monde, les derniers bains d'huile, le coup de balai puis le coucher en dégustant ses frites pleines de sel, et le réveil, les tartines, pour elle, sa mère...
Ce que Majella n'aimait pas offre un quotidien de vies à l'ombre, loin des grands axes culturels ou politiques, des jours faits de routine, de petites surprises, de peines et de souvenirs, déjà à 27 ans. Le talent de Michelle Gallen c'est bien de ne pas rendre cela barbant. Le lecteur se plie aux différents protocoles de Majella, son thé, ses tartines de confiture (bourrée de sucre parce que la moins chère), ses DVD de Dallas, sa combinaison de travail. Le lecteur se plie aussi à ses goûts, son amour du sèche cheveux, jusqu'entre les fesses pour être bien sèche, son rejet des commérages ou du bruit du rideau métallique. C'est sûr, la vie de Majella n'est pas des plus glamour et les passages sur ses menstruations ou son premier frottis ne séduiront pas forcément toutes les lectrices du Figaro Madame, mais c'est aussi le piment de ce roman, de donner à lire un quotidien sans fard, cru, sans être jamais vulgaire. Michelle Gallen, pour son premier roman, a incontestablement trouvé une voix. Et il faut ici saluer le travail de traduction de Carine Chichereau qui a dû se démener pour trouver un équivalent au patois de Majella et de ses concitoyens, tout en phrases rognées, en mots mangés. Loin des romans traditionnels sur l'Irlande, l'autrice donne à lire une autre facette de ce pays et, sur ce coup, cela prend une vraie dimension universelle.
Ce que Majella n'aimait pas (Big girl, small town, trad. Carine Chichereau), ed. Joelle Losfeld, 341 pages, 24 euros