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The killer inside me

Littérature noire

La ligne : quand la mythologie de la ruralité explose

L'idée est brillante : la France, ses villes, ses villages, seront désormais séparées en deux par une ligne blanche. Telle une frontière à l'intérieur des frontières. Pour quelles raisons ? La ligne, le dernier roman de Jean-Christophe Tixier, ne le dit pas avec précision, le lecteur sait juste que le principe " a fait l'objet d'un vote par la chambre des députés et que le projet de partition est national. " Grosso modo, il s'agit de diviser par deux les conflits, les violences, de cadrer les populations. Un concept technocratique dingue, lunaire, kafkaïen aussi. Que les populations n'accueillent pas bras ouvert. Notamment dans ce village, déjà partagé, depuis plusieurs années entre la famille Wasner, propriétaires terriens depuis plusieurs générations dont le patriarche est le maire actuel. Et de l'autre côté les Polora, issus d'un père épicier qui a donné trois enfants désormais bien adultes dont l'un, Jacques, s'est présenté, sans succès, face au premier magistrat. Le jour où la ligne est tracé dans leur village, les habitants montent en pression : entre les légalistes et ceux qui veulent continuer à vivre tous ensemble, il y a débat. Mais derrière, il y a surtout des pulsions, des colères qui se libèrent. Un gamin qui fait pousser sa ganja, un adultère qui est découvert, un autre ado qui n'en peux plus de son père, une fille qui prépare ses fiançailles... tout cela marine, infuse.
Jean-Christophe Tixier est malin et réalise un vrai et beau numéro d'équilibriste avec La ligne. Il parvient à faire vivre l'inconcevable dans un quotidien des plus banals, il insère cette ligne dans les esprits presque comme quelque chose de normal. Il ne s'agit pas d'anticipation, pas de science-fiction. Même pas d'une uchronie. Plutôt un épisode inédit de la 4e dimension. Tout fonctionne admirablement, la visite d'un représentant de l'Etat, la réunion publique, le référendum, la minable joute politique, les militaires chargés de la surveillance. A bien chercher, il y a peut-être l'agression de Fleur qui reste un brin obscure. Mais La ligne est un formidable scanner des petitesses, non pas françaises, mais humaines, scanner de vies pétries de jalousies, d'orgueil et de méchanceté. Tixier en profite pour livrer une vision un peu moins néo-rurale de nos campagnes, en évoque les tensions, l'ennui, la violence en somme.
Très original et sacrément troussé.

La ligne, ed. Albin Michel, 348 pages, 20, 90 euros.
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