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The killer inside me

Littérature noire

Shit ! : Candide au pays des chouffeurs

Besançon est connue pour deux raisons : son 19e régiment du génie et Jacky Schwartzmann. Mais il faut reconnaître que ce dernier a bien plus redoré le blason de la ville que les soldats qui vont vomir leurs soldes dans les caniveaux de la cité franc-comtoise. Après Kasso, Jacky Schwartzmann se fixe un peu plus dans sa ville natale avec Shit ! et plus précisément à Planoise, son quartier, dont wikipedia nous apprend que c'est " l'un des quatorze quartiers de Besançon. Situé au sud-ouest de la ville, il est au cœur d’un site de 3,5 km² ceinturé par quatre forêts et deux collines, à environ 2 km du Doubs et 3,5 km du centre-ville. " Croyez-le ou pas, Planoise, sous sa plume, c'est un peu South Central, Brooklyn, voire Brick Mansion à Detroit !
Thibault est un tout jeune conseiller d'éducation dans le collège de Planoise. Largué par sa copine, il a choisi de vivre au coeur du quartier dans un petit bâtiment qui héberge, sur son palier, un four, un lieu de deal de shit. Deux Albanais tiennent le business et pour rentrer chez lui, Thibault doit, chaque fois, prouver son adresse et exhiber une quittance de loyer. Et s'il n'est pas d'accord, même du bout des lèvres, il se prend une rouste, se fait "enculer l'oreille". Pas cool, la banlieue. Et encore un peu moins, lorsqu'un soir, ça tire à la kalach dans la cage d'escaliers. Le frêle conseiller d'éducation regarde ça par l'oeilleton de sa porte : des corps tombent, gémissent, du sang coule. Il ouvre prudemment, pénètre dans le four encore ouvert. Sous la baignoire escamotable, montée sur verins, il y a une échelle vers une pièce qui renferme tout l'argent et toute la came des dealers, désormais trépassés. Thibault hésite, panique. Sa voisine, Madame Ramla, descendue en entendant les tirs, s'empare de plusieurs liasses avant que la police ne débarque. La baignoire est remise en place. Ni vu ni connu. Le lendemain, Thibault et sa complice d'un soir se partage une somme, déjà, conséquente. Pour lui, de quoi aider des gamins à partir en voyage scolaire. Pour elle, un peu de beurre dans les épinards et, aussi, un coup de main à des habitants du coin. Mais après tout, qui va réclamer le reste de l'argent dans cette pièce secrète ? Et puis pourquoi pas essayer de revendre le shit qui est entreposé ? Il suffit de s'organiser.
Sous des airs de comédie, jouant bien entendu sur le décalage qui lui est cher, Jacky Schwartzmann pose son regard lucide sur les quartiers et sur ses populations. Sans faire de misérabilisme, encore moins de politique, il montre aussi toutes les difficultés à garder ses convictions humanistes quand on vit dans cette misère : " lorsqu'il m'arrive de penser de mauvaises choses sur mes voisins en raison de leurs origines, je m'en veux immédiatement. Je me régule. Cela étant dit, à mes yeux, les Albanais sont des enculés. " En prenant Thibault, un gentil, pétri de culture de gauche, Schwartzmann peut se permettre de balancer, sinon des vérités, qui demanderaient à être scientifiquement prouvées, du moins des faits établis sur la banlieue : " vous trouvez encore une antenne parabolique sur un balcon, oreille grande ouverte sur l'Algérie, le Maroc ou un autre de ces pays perdus, idéalisés, fantasmés. Les antennes paraboliques ont disparu parce que la technologie a évolué mais le regard est toujours tourné vers là-bas. Les gens ne veulent pas être d'ici et dans l'intimité des salons la nostalgie est une brume qui se déposent sur des tapis orientaux achetés sur Cdiscount. " Il y a aussi cette scène de dîner, avec le flic Martin, qui confie le contenu de certaines écoutes de dealers, leur haine de la France. Attention, il ne faut pas croire que l'auteur verse dans la propagande RN ou qu'il cherche à être édité chez Ring. Bien au contraire, il sait écrire avec mesure sur une question qu'il connaît, lui. Et inversement, sa description de la banlieue es parfaitement équilibrée par les mouvements de solidarité entre ses familles, le travail associatif d'une Samia. Sans oublier de mettre, aussi, l'Education Nationale au coeur de cette société de la marge, des établissements sans moyens humains, sans moyens financiers, abandonnés ou presque. Oui, Jacky Schwartzmann cherche parfois un peu trop la bonne formule pour faire sourire, la métaphore poilante. On lui pardonne, tant Shit ! est un excellent polar de société, un roman d'aujourd'hui, qui parle avec sincérité et humour, ce n'est pas interdit, des quartiers. Et de Besançon. Il ne faut pas l'oublier.

Shit !, ed. Seuil, 312 pages, 19, 50 euros
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