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The killer inside me

Littérature noire

Ces femmes-là : c'est féministe et c'est très polar

Mais quel coup de pied au cul ! Si on avait beaucoup aimé Route 62, il y a cinq ans, Ces femmes-là met la barre encore un peu plus haut. C'est un coup de pied au cul parce que, mea culpa, on avait zappé le fait que Globe publiait des polars. C'est un coup de pied cul aussi parce qu'il ressortait essentiellement des critiques que c'était un roman féministe. Oui, d'accord. Mais c'est aussi un grand polar, un vrai. Pas classique du tout, mais vraiment poisseux, doté d'un crescendo à vous faire tomber les dents de devant.
Soit six personnages féminins dans le Los Angeles de 2014, du côté de Jefferson Park et Western avenue. Pas vraiment un coin à touristes. Il y a Dorian, propriétaire d'un snack et dont la fille a été assassinée il y a quinze ans. Jamais guérie de cette perte, elle file toujours quelques petits repas aux filles de la rue et s'inquiète depuis plusieurs mois de ramasser dans son jardin, des dizaines de colibris morts. Il y a Julianna, danseuse du Fast Rabbit, bar de nuit, à peine moins que glauque. Julianna voudrait bien sortir de cette vie minable, surtout qu'une ancienne copine vient de se faire égorger à deux pas. Alors, quand elle ne se fait pas des rails, elle s'imagine artistes et capture des instantanés de sa drôle d'existence. Il y a Essie, petite fliquette des Moeurs, traumatisée par un accident mortel qu'elle a eu avec son mari. Essie, qui ne se déplace depuis, qu'en vélo, enquête sur ces meurtres de femmes et cherche un lien avec ceux de 1999. Il y a Marella, jeune fille plasticienne, fascinée par les corps des femmes et qui vient de trouver le portable de Julianna, toutes ses photos et décide d'en faire un violent happening. Il y a Anneke, mère rigide de Julianna, qui a choisi d'élever sa fille loin des turpitudes de Los Angeles. Enfin, comme un fil rouge, Feelia, ex-prostituée agressée, laissée pour morte par ce même tueur il y a quinze ans.
De tout cela, de cette matière riche, humaine, oscillant entre espoirs et fatalité, Ivy Pochoda fait un splendide canevas. Oui, elle ne donne jamais la parole aux hommes. Le parti pris est assumé et le pari, lui, est parfaitement réussi : on soulève le voile de toutes ces vies, avec pudeur, avec rage aussi. Comme les couches d'un oignon, l'autrice pèle ses personnages, les met à nu et, finalement, donne un visage, une chair à toutes ces victimes de tueurs, à leurs familles, leurs amies. Mais Pochoda glisse aussi des éléments d'intrigue par petites touches, l'air de rien. Parce que ce n'est pas que de l'anthropologie de rue, c'est donc aussi un vrai roman noir, un polar subtil mais violent. Pour tout dire, le lecteur ne s'attend pas un instant au virage que prend le texte dans les soixante-dix dernières pages, Ces femmes-là devient alors flippant, angoissant, encore une fois, grâce aux personnages, au cadre, qui ont été installés savamment. Une des très belles réussites de cette année 2023.

Ces femmes-là (These women, trad. Adélaïde Pralon), ed. Globe, 392 pages, 23 euros.
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J
Entièrement d'accord, une découverte pour moi et une belle claque.
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T
Salut Jean-Marc, Route 62 était vraiment excellent mais là je suis bluffé.