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The killer inside me

Littérature noire

" J'ai peur de l'effacement de la mémoire "

Son dernier roman Pour tout bagage (La Noire) avait sans doute beaucoup de lui : les 70's, l'engagement, les regrets, les amitiés aussi... c'est peu de dire qu'il s'en dégageait une mélancolie. Patrick Pécherot vient le 28 mai à Libri Mondi broie du noir, commune de Luri, pour parle de ses trente ans d'écriture. On a réussi à l'attraper à Lyon, lors de Quais du Polar pour parler livres oui, mais aussi de Jean Meckert, de luttes sociales et de chansons françaises.

A la lecture de Pour tout bagage, le lecteur se demande si le principe des idéaux, ce n'est pas finalement d'être, un jour, enterrés ?

Je ne sais pas si on les enterre ou s'ils évoluent parce qu'on les confronte au réel. Si on reste dans l'idéal d'une utopie, on arrive à cette désillusion de ne jamais voir arriver le paradis sur Terre. Si on accepte que nos idéaux, encore une fois confrontés au réel, s'atteignent par d'autres voies et par petits morceaux, on peut avancer. Personnellement, j'ai vu à quoi pouvait mener les grands idéaux que certains tentaient de me vendre, je pense par exemple au Kampuchea Démocratique et on a du mal à se dire que cela a pu être des idéaux d'une partie de la jeunesse.

Votre roman fait parfaitement écho à la série de Marco Bellocchio, Esterno Notte, sur l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro par les Brigades Rouges. La violence armée est importante pour se faire entendre ?

Non. Pour moi, c'est une impasse totale. Je vais même aller plus loin : je n'ai jamais vu une révolution se terminer bien, se terminer autrement que par une dictature, des révolutionnaires - qui n'est pas avec nous est contre nous - , soit il y a quelqu'un qui remet de l'ordre et on a Napoléon. Il y a forcément un dictateur qui remporte le morceau. La Révolution française a apporté certaines choses oui, mais derrière on a eu l'Empire. Et 1793, ce n'est pas ma Révolution, les têtes qui tombent, non. J'ai toujours été un grand amoureux de Camus, je suis contre toutes les peines de mort. C'est mon côté Brassens. En vieillissant je suis Brassens que Ferré.

Vous écrivez votre premier roman, Tiuraï, à 43 ans. Le décès de Jean Meckert (1910-1995) a-t-il été réellement le déclencheur ?

Il y en a plusieurs. Effectivement le décès de Jean Meckert, croisé avec la reprise des essais nucléaires en Polynésie. Je n'ai jamais mis un pied à Papeete mais dans la revue militante où je travaillais j'ai écrit sur les conséquences sociales du Centre d'Expérimentation du Pacifique, c'est-è-dire les atolls autour qui se vident, les gens attirés par le fric, les lumières de la ville, créant d'incroyables îlots de pauvreté. La mutinerie de la prison, dans Tiuraï, ce n'est pas pour l'amélioration des conditions de détention mais bien pour l'arrêt des essais nucléaires. J'avais correspondu avec un détenu à l'époque, il avait été condamné pour le meurtre d'un gardien, en première instance il avait pris perpet' et en appel cela a été réduit à vingt ans. A propos de Jean Meckert, j'était en train de lui écrire en lui demandant si son invitation était toujours d'actualité. Il m'avait invité trois ans avant mais comme je suis timide il faut me le répéter ! Et donc je faisais cette lettre quand un ami m'a téléphoné pour m'annoncer la mort de Jean Meckert. C'est pour cette raison que le héros de Tiuraï s'appelle Thomas Mecker, sans t.

La plupart de vos romans se déroulent dans des zones de conflit (début des années 40, la Commune...). Est-ce l'idéal pour révéler les hommes ?

Oui, c'est un matériau important. On a tous en soi le pire et le meilleur de l'humanité et les guerres peuvent faire sortir l'un ou l'autre. C'est intéressant à travailler. J'écris sur des périodes qui m'ont toujours intéressées et pour lesquelles j'ai accumulé des tas de trucs et comme je suis un garçon conservateur. Je me méfie de ma mémoire donc je vérifie dans ma documentation. Dans Boulevard des branques, par exemple, il y a ce train, lors de la débâcle française de 1940, qui transportait des handicapés mentaux. J'ai repris les éléments d'un livre historique sur ce fait précis. Tout comme je rapporte un fait sur Jean Moulin, qui était alors préfet de Chartres et auquel les Allemands voulaient faire signer un papier reconnaissant des exactions de l'armée coloniale française. Jean Moulin avait refusé. Il a connu la torture à ce moment-là et il voulait se suicider pour ne pas être obligé se signer ce papier. La légende dit qu'il portait un foulard pour masquer cette tentative de suicide, mais il portait le foulard avant... J'avais lu ça dans La honte noire, un excellent livre de Jean-Yves Le Naour.
Les héros oubliés, de la petite ou de la grande histoire, sont vos compagnons ?
Ecrire, c'est un peu essayer d'arrêter la mort, faire en sorte que certains disparus ne meurent pas tout à fait. Même si ce sont des personnages inventés. Je les aime bien mes personnages, je les considère comme des gens du commun et j'essaye de garder ces fantômes vivants.

Dans son dernier livre, Nein, nein, nein !, Jerry Stahl affirme que le peuple juif vit, finalement, toujours entre deux tragédies. L'Homme en général aussi ?

Pour le peuple juif, je crois que c'est réel. Pour l'Homme ? Je me garderai bien d'avoir une vision là-dessus. Mais je pense que l'Homme a une faculté d'oubli. Tant mieux parce que sans cela, je me demande comme il s'en sortirait dans certaines situations. Plus ça va et plus j'ai le sentiment que, oui, l'Homme oublie. Et ne pas se souvenir du passé, je ne sais plus qui disait cela, c'est se condamner à le revivre. J'ai peur de l'effacement de la mémoire. On est dans l'immédiateté. C'est risqué d'oublier les erreurs du passé.
Est-ce que les mouvements sociaux d'aujourd'hui contre la réforme des retraites trouvent un écho chez vous ?

J'appartient à la même organisation syndicale, la CFDT, depuis 1975. Donc évidemment, ces mouvements résonnent et pour chaque manif' à Paris, je publie une batterie de photos sur mes réseaux sociaux. J'aime photographier les visages. Et ça m'émeut ces gens-là, les deuxièmes lignes, ceux qui servent à manger dans les centres sociaux ou dans les hôpitaux pendant le Covid. Ils sont très fiers d'être là et sont contents d'être pris en photos parce que, je crois, que cela prouve d'une certaine manière leur existence. Le syndicalisme a été mon école après m'être fait virer du lycée en seconde. J'y suis très attaché parce que cela permet de parler de social, et donc d'autre chose que de la politique.
Question musique, vous avez récolté il y a quarante ans, des témoignages de musique folk, en Ecosse, en Irlande...
Oui. Quand j'étais jeune j'avais fait l'Ecosse en stop avec un copain. Puis l'Irlande, toujours en stop, cette fois avec mon épouse aujourd'hui décédée. On était fondus de musique folk, les Dubliners, les Chieftains, et autres... Et il y a vingt ans j'ai continué à fréquenter ces pays à travers des groupes plus récents. Je suis aussi fan devenu de musique manouche plus tard. Mais j'écoute à peu près de tout, de la chanson, du jazz et un peu de classique. Entre 15 et 18 ans, j'ai vu presque tous les concerts de Léo Ferré. Son influence a été énorme, surtout sa période à partir de son album L'été 68, où on trouve C'est extra, Les anarchistes. Bien plus que la carrière antérieure quand il chantait Paris canaille, Joli môme. Mais oui, c'était une source d'inspiration, avec une vraie qualité d'écriture au point que dans Le récital Bobino 69 on entend le public applaudir les paroles au milieu des chansons ! Je le suivais comme un fan. Il balançait des idées très radicales, provocatrices, que personne d'autres ne faisait. Ferré, c'était le chanteur anar dans toute sa splendeur. La photo de Rock & Folk avec Brel, Ferré et Brassens n'est pas un hasard parce que ces trois-là ont forgé chacun à leur manière les petites têtes de nombreuses personnes. Et quand on est ado, Ferré et Brassens te parlent plus. En concert, les deux étaient très différents ! Brassens, on sentait qu'il n'avait pas envie d'être là, il était timide, il ne parlait pas. Ferré te transportait, c'était une tempête.
Comment vous sentez-vous dans le milieu du polar ?
J'ai peur qu'il y ait de plus en plus de thriller dans ce monde. Je n'ai pas une vision très large de la production mais oui, le thriller est un peu pesant. Il y a eu la mode des polars gothiques mais à La Série Noire il n'y a pas de tout ça. Et puis, les années passant, moins mes polars sont des polars. Le roman social va bien avec ma propre vie : j'étais un travailleur social, je suis un militant syndicaliste... je n'ai pas besoin de sérial-killer pour trouver l'inspiration. S'il y avait autant de sérial-killer que de romans qui traitent de serial-killer, les rues ne seraient pas sûres.

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