Littérature noire
15 Juin 2023
L'odeur dans le bungalow est pestilentielle ce jour de fin juillet 2002 à Eastlake, au nord de Cleveland. Et pour cause : dans ce logement en préfabriqué, repose le corps de Joseph Chandler, 71 ans, suicidé depuis au moins quatre jours. Avec la chaleur, l'absence de climatisation, la décomposition est plus qu'avancée. Pour le détective Chris Bowerstock, l'affaire est assez claire : trou à l'arrière de la tête, flingue encore sous le corps recroquevillé, tâches de sang sur l'évier. L'identité est vite définie avec la propriétaire de la résidence, reste à contacter les proches. Sur la fiche de renseignements du site, il y a juste un ancien collègue. Et une soeur... à une adresse qui n'existe pas. L'examen des comptes fait apparaître 80 000 dollars qu'il faudra bien restituer aux ayant-droits. Pour ça, les Américains sont organisés et l'ancien collègue devient l'exécuteur testamentaire chargé de tout mettre en oeuvre pour retrouver des parents. Il embauche un détective privé. Et l'énigme s'épaissit. Car selon la Sécu, le vrai Joseph Chandler est mort en 1945. Et stupeur : l'examen de l'appartement n'apporte aucune empreinte ! Comme si le bonhomme avait vécu avec des gants. Même sa vieille voiture ne livre rien. En 2002, les techniques ADN sont encore balbutiantes et le corps a donc été incinéré sans prélèvements.... Au bout de cinq ans et demi d'impasse, le bureau des successions clôt le dossier. Mais en 2014, le Marshall du district tient bon et poursuit l'enquête. Qui était Joseph Chandler ? Pourquoi a-t-il changé d'identité ? Pourquoi s'est-il coupé du monde ?
Troisième tome des enquêtes conjointes de Society et des éditions 10/18, L'inconnu de Cleveland est menée comme un grand thriller, avec ses mystères maousses, ses impasses, ses fausses pistes (on pense un temps que Joseph Chandler est l'un des trois évadés d'Alcatraz ou bien un pirate de l'air) et, au final, le fort soupçon d'être l'un des serial killer les plus recherchés du pays. Que l'on ne dévoilera pas ici, histoire de maintenir le plaisir de la lecture. Thibault Fraisse, l'auteur, a réussi un travail de maître sur une affaire qui, apparemment, n'avait jamais vraiment été l'objet d'une enquête ou d'un livre. Il a poussé des portes, rencontré les enquêteurs de l'époque, des journalistes, bref, réalisé une investigation digne de ce nom. L'inconnu de Cleveland démontre aussi toute la pugnacité de la police américaine, de ses hommes et ses femmes, lorsqu'ils sont face à une énigme. Comme dans L'affaire du Golden State Killer, la démocratisation d'internet, le séquençage ADN - malgré le peu de traces - font effectuer un bond à ce dossier. Du true crime comme on l'aime.
L'inconnu de Cleveland, ed. 10/18 et Society, 196 pages, 7, 50 euros