20 Juillet 2023
En la tenant suspendue dans le vide, à la fenêtre de la maison de retraite, Tony Zank avait l'impression que les chevilles de sa mère étaient une paire de salamis chauds. " Il ne faut pas soixante pages à Jerry Stahl pour installer son ambiance déjantée, sa dinguerie sous opiacée. En 2001, il publie son deuxième roman, à poil en civil et trouve immédiatement un public, amateur d'humour noir, un peu crasse, teinté d'un brin d'intrigue. Parce que, ne nous mentons pas, ce sont les situations folles qui intéressent le lecteur, c'est cette cascade de scènes débiles et drôles qui excitent. Comme chez Tim Dorsey ou Carl Hiaasen (même si lui a quelques critiques parfois écolo), voire Mark Haskell Smith et les premiers Seth Greenland.
Bref, ici, il est question de personnages, disons, au développement psychologique contrarié. Il y a ces deux voyous, Tony et Mac, tous deux accros au crack mais le premier plus que l'autre. Un Tony qui bouffe sans cesse des morceaux de boeuf séché, lui offrant une haleine digne d'un égout au mois d'août. L'autre est tout simplement le sosie de Dean Martin mais noir. Chez la maire de Haut-Marilyn, ils ont fauché une photo compromettante où la première magistrate est avec un George Bush Jr lui présentant ses parties. L'image vaut de l'or. Et Tony l'a planquée dans le lit de sa mère à la maison de retraite sauf que le cliché disparu (d'où la scène précitée). C'est Tina, l'infirmière, qui a mis la main dessus, Tina, jolie comme un coeur, qui, enfant, a vécu la pendaison de sa mère et dormi sous le corps de celle-ci pendant plusieurs nuits. Avec un tel traumatisme pas étonnant qu'elle trucide son mari de manière céréalière. Quand la police enquête, elle tombe sur Manny, un flic dépité qui carbure à la codéine.
C'est foutraque mais ça tient merveilleusement la route grâce à un rythme tachycardique. En même temps les fumeurs de cracks ne sont pas vraiment des contemplatifs fans de yoga donc faut que ça bouge. Il y a des scènes avec une femme obèse qui oblige les deux voyous à se sodomiser, le même Tony qui cherche des boulettes de crack dans la moquette et fume une vielle croûte de parmesan tombée au sol, avant de s'envoyer les cendres d'un défunt. Et puis Tina qui raconte des anecdotes de petits vieux qui payent pour voir l'hymen d'une septuagénaire restée vierge. Oui, ce n'est pas toujours très exquis mais que c'est drôle, dément. Alors l'intrigue, c'est vrai est secondaire. Mais elle maintient l'intérêt et offre des moments de baston qui alternent avec des instants de sexe bizarroïdes, pitoyables parfois.
Jerry Stahl est un ancien héroïnomane, ancien journaliste pour le magazine de fesses Hustler et donc c'est clair qu'il a des choses à raconter. Voilà bien tout le sel de cette littérature américaine underground, très décalée mais qui n'en oublie pas la qualité, qui raconte aussi une population, une violence.
A poil en civil (Plainclothes naked, rad. Thierry Marignac), ed. Rivages, 350 pages, 21 euros