Littérature noire
17 Août 2023
C'est un roman à la trajectoire assez folle. Il y a dix ans, une vieille connaissance de Richard Morgiève vient le voir pour lui demander d'écrire son histoire de famille. Forcément l'auteur du Cherokee n'est, d'abord, pas intéressé. Le bonhomme insiste, raconte. Et là, Morgiève accroche, tilte. Il y a quelque chose. Quelque chose qui parle d'enfance, de père, de mère. De fil en aiguille, ce vieil ami apporte tout un tas de documents personnels. Il y a là une vraie aventure intime mais ce sera un roman, pas une autobiographie. Et Morgiève décide de le publier sous le pseudo de Jacques Bauchot - nom du protagoniste - aux Carnets du Nord. Injustice, La fête des mères obtient peu d'échos. Joëlle Losfeld et Richard Morgiève décident donc de le republier avec quelques retouches, sous le nom de l'auteur.
Voici donc l'histoire des tourments d'un enfant, d'un ado, d'un jeune homme, Jacques, deuxième d'une fratrie de quatre. Fou de sa mère et regardant avec des yeux plein d'admiration un père banquier, passé par une demi-douzaine de camps durant la Seconde Guerre Mondiale. Ce sont les années 60, à Versailles. Lino Ventura est un voisin, la mère traîne tout le monde à l'église, refuse l'arrivée de la télé et impose un étrange régime à ses enfants. Pas de quoi flétrir l'amour de Jacques qui lorgne chaque coin de sa peau, hume le moindre parfum, détecte la plus petite émotion. Un Jacques aux prises avec les affres de la découverte sexuelle, la rivalité avec son grand-frère et surtout un problème de rein qui l'envoie jusqu'aux Etats-Unis chez des spécialistes. Observateur, rêveur, portant aussi l'histoire de son père sur ses épaules, Jacques traverse les décennies avec un coeur en mille morceaux.
La fête des mères est une ode à la vie, à ses embûches, ses déceptions, ses amitiés incroyables, ses femmes merveilleuses, dont, la mère. Créature toxique autant qu'envoûtante, femme aimée à la limite du raisonnable, dans une relation presque ambigüe, épouse malmenée et colérique. Dans ce texte qui ressemble tellement au Richard Morgiève intime, il est difficile de croire que l'auteur ne parle pas, aussi, de lui, peut-être de souvenirs, peut-être de souvenirs fantasmés, de ce qu'il aurait voulu vivre, lui, l'orphelin à treize ans. La distance semble réduite entre l'écrivain et son objet et c'est là que Morgiève touche au vrai, au coeur. Avec certaines pages qui vous essorent, comme cette scène de l'ultime adieu au père.
C'était vraiment une riche idée de ressortir ce texte, de lui donner enfin un peu plus de lumière. Et quelle couverture.
La fête des mères, ed. Joelle Losfeld, 414 pages, 22 euros