Littérature noire
23 Août 2023
Antoine Albertini a énormément et patiemment travaillé sur ce troisième roman. S'abandonnant dans des documentations à n'en plus finir, écrits du 18e, du 19e, certains plus récents évidemment, mais sa bibliographie en dernière page en dit long sur sa volonté de creuser son sujet du banditisme corse. Et de ses patientes lectures il a fait un roman ébouriffant, violent, parfois truculent comme il sait lui-même l'être. Bref, Un très honnête bandit est son meilleur roman.
Année 1882, à Muratello, village au-dessus de Porto-Vecchio dans l'extrême-sud de la Corse. Le clan Tafani s'affaire autour du cadavre de Vispu, chien du plus jeune des enfants. L'animal a été tué. Et pas par une bête, par un homme, et cela ne peut-être qu'un Rocchini, famille haïe depuis des lustres. Forcément cela se payera. Et un jour, Jean-François Rocchini est donc abattu. Malgré la volonté de la veuve, le cycle de la vendetta s'enclenche. Le plus jeune des Tafani est à son tour abattu et Xavier Rocchini, auteur de cette assassinat, prend le maquis, devient bandit. C'est-à-dire qu'il va voler, piller, parfois tuer, pour survivre dans ces montagnes hostiles. En compagnie de Giovanni, autre scélérat vicieux, ou avec d'autres. Une poignée d'années d'errance sanglante, des meurtres, dont celui de deux vieillards et celui de sa propre cousine qui s'est refusée à lui, ce dernier lui valant alors le surnom de L'animali. Jusqu'à ce qu'un gendarme du Cap Corse, Franchi, mystérieux et doué, spécialement détaché à Ajaccio pour chasser le brigand ne vienne le cueillir, six années après l'affaire de Muratello.
Parfois Antoine Albertini pousse loin la digression dans l'historique de ces personnages secondaires (Bonmarchand ou Deibler) mais il sait rendre tout cela picaresque, vivant et très rythmé. Un très honnête bandit n'est toutefois pas dénué d'une vraie critique de la société passée et actuelle. Passée, parce qu'il relève toutes les compromissions de certains auteurs pour affubler ces bandits du suffixe "d'honneur". Didier Daeninckx, après une villégiature du côté de Propriano, avait aussi raconté la façon dont un fameux bandit avait rançonné, ni plus ni moins, des établissements touristiques à la fin du XIXe (Têtes de Maures, ed. L'Archipel 2013). Mais Antoine Albertini s'applique à citer les textes, dont celui de Jean de la Rocca (1857), coupables d'une littérature moisie qui a crée un faux romantisme, là où il n'y avait que goût du sang et appât du gain. Des prises de position qui ont beaucoup compté dans l'appréciation et l'acceptation de la violence. Et quand il aborde la corruption des élus, le journaliste du Monde est à deux doigts d'écrire que les choses n'ont guère changé 150 ans plus tard.
Aux lecteurs du continent, l'auteur de La femme sans tête (remarquable enquête déjà) offre un condensé de ce que la Corse offre de pire. Parfois de meilleur (ses femmes pleines de noblesse d'âme). Aux lecteurs insulaires, il rappelle à quel point cette violence perdure, traversant les siècles, vérolant toujours la société insulaire. " On tue aussi, et souvent, parce que l'on est pauvre et qu'on ne peut se permettre, en perdant l'honneur, de ne plus rien posséder ".
Un très honnête bandit, ed. JC Lattès, 436 pages, 21, 90 euros