Littérature noire
9 Février 2024
Major de sa promo à l'université de Virginie, après dix ans passés au FBI, Titus Crown est revenu dans sa ville de Charon pour être le premier shérif noir. Ce matin-là, on l'appelle pour une fusillade au lycée. Sur place, il aperçoit Latrell McDonald, le fils d'un de ses meilleurs amis, fusil en mains, le regard ailleurs, le discours confus. Ce gamin à peine sorti de l'adolescence vient d'abattre l'un des profs du lycée et se précipite vers les voitures de police avant d'être criblé de balles. La ville est traumatisée. Et va l'être encore davantage. Suivant les derniers mots de Latrell, Titus fouille le portable du professeur assassiné et y trouve toute une collection de clichés et de vidéos pédopornographiques. Avec également la mise en scène de meurtres sadiques d'ados. L'enseignant tant aimé, tant respecté était donc un pervers. Mais il y a pire : sur les vidéos, il y a un troisième homme que le shérif doit identifier. Plusieurs corps sont trouvés enterrés dans un bois et un témoin anonyme appelle Titus pour lui dire qu'il sait peut-être qui est derrière tout çat. Vingt-quatre heures plus tard, il est découvert crucifié, la peau du visage arrachée, les poumons découpés.
S.A. Cosby avoue qu'il a voulu écrire ce roman après le meurtre de George Floyd, pour évoquer le poids de la responsabilité d'un homme ou d'une femme de la police. Avec Le sang des innocents on ne peut pas dire qu'il y va avec le dos de la cuillère. Ce qui apparaît au départ comme un roman noir tourne très vite au thriller, avec réseau pédophiles et tueur fou inspiré de la Bible. Alors oui, il y a une description de ce sud de la Virginie mais elle est sommaire : à travers le père de Titus qui a bossé sur les bateaux de pêche, ou avec cet abruti de chef du Comté de Charon, issu d'une riche famille sudiste. C'est presque tout, avec également la pagaille des églises évangélistes, baptistes et la présence des suprémacistes blancs qui demeure en arrière plan et n'apparaît vraiment que sur dix pages en fin du roman. Reste que Le sang des innocents pourrait par ailleurs être un bon thriller. Si ce n'était le style empesé de Cosby. Son personnage de Titus pèse une tonne ou pas loin : le flic qui a lu dix fois l'Illiade, qui cite Yeats, Sun Tzu ou Shakespeare, hanté par sa dernière opération avec le FBI et en même temps bon fils, amant volcanique. Flic qui par ailleurs s'appuie sur les préceptes de sa mère décédée, de son ancien instructeur du FBI, de son grand-père. Toujours une phrase pour illustrer la situation qui se présente. Et lui-même enfile les banalités avec une rare régularité, " l'espace de quelques instants, le masque de la professionnelle tomba et Titus découvrit le visage de Julie Kim - un être humain qui éprouvait de l'empathie et dont le coeur débordait de tendresse ", ... il aurait peut-être réussi à le rattraper, à lui arracher son masque pour voir son visage. Le visage d'un monstre à forme humaine...", Ce que je sais en revanche, c'est que la violence engendre la violence, et la violence est une preuve de souffrance. "
On a évoqué Sam Peckinpah ou Attica Locke pour parler de la plume de S. A. Cosby, mais il n'a ni la mécanique de la violence du premier, ni l'étude profonde de la société afro-américaine de la seconde. Enorme déception.
Le sang des innocents (All the sinners bleed, trad. Pierre Szczeciner), ed. Sonatine, 397 pages, 23 euros