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The killer inside me

Littérature noire

Les parias : l'Islande, pas vraiment le pays de la joie

Ah l'Islande, sa nature, ses volcans, ses aurores boréales... et sa société tellement mutique, si cadenassée par les a priori, les réflexes antiques. On ne peut pas reprocher à Arnaldur Indridason d'enjoliver les moeurs de ses compatriotes, d'en faire de joyeux vikings accueillants. L'auteur n'est ainsi pas près de remporter la médaille de l'office du tourisme islandais. En revanche, il pourrait bien être le meilleur chroniqueur de l'île.
Dans un schéma classique pour lui, Les parias s'ouvre sur une découverte qui renvoie au passé. Pas si lointain puisqu'il s'agit des années 50, 60 mais c'est vrai qu'Indridason fouille les archives islandaises à la lumière des années 2000, comme si la glace livrait petit à petit les faits les plus dégueulasses que toute la population voudrait oublier. Cet objet retrouvé c'est un Luger de l'armée allemande. Le pistolet est apporté au commissariat par une veuve qui déménage et qui ne comprend ce que son mari, non violent, pouvait fabriquer avec une arme. Konrad, inspecteur retraité, est alerté quand la Scientifique découvre qu'il s'agit d'un pistolet impliqué dans le meurtre non élucidé d'un jeune homme... en 1955. Ici, il faut se souvenir qu'il y a si peu, ou il y avait si peu, de violence, dans ce pays, que le moindre meurtre, assassinat, prend une ampleur inimaginable. Konrad se remémore donc parfaitement cette affaire, comme il se souvient que son père, petit malfrat violent et téteur de goulots, lui avait, un soir, montré, un calibre du même genre. Il fait froid, il gèle, c'est même la tempête et comme si cela ne suffisait pas, le vieux policier doit jongler avec un médecin emprisonné pour pédophilie.
Arnaldur Indridason est donc le dernier représentant de la glorieuse vague de polars scandinaves. Celle incarnée par Sjowall et Wahloo ou Henning Mankell. Pas les Camilla Lackberg et consorts, adeptes d'un thriller répétitif et un peu vain. Non, un polar classique avec toute sa dimension sociale. Et son rythme. Parce qu'il ne faut pas espérer de grandes fusillades, des poursuites en pick up, des cultures de marijuana. Non, quand on vit autour de la latitude 66°34°N, on ne se précipite pas, les heures et les minutes sont différentes. C'est ce qui tient, hélas, éloigné nombre de lecteurs de romans noirs du polar scandinave. Pourtant Indridason, en abordant ici le thème de l'homosexualité dans l'après-guerre, dresse le portrait saisissant d'une ville de Reyjkjavik entre bidonvilles, crapules et harcèlement. On est loin de la lecture feelgood, c'est sombre, parfois même déprimant, confrontant le lecteur à la déchéance, le malheur, dans un pays si loin du soleil. Il y a même une scène, sommet de masochisme, où Konrad se rend dans un Ehpad : " tandis qu'ils discutaient, des vieillards allaient et venaient dans les couloirs et les salles de la maison de retraite sans que personne se soucie d'eux. Ils buvaient leur café, jouaient aux cartes, le regard parfois perdu dans le vide. Konrad se demandait s'il finirait sa vie dans un endroit de ce genre, à avancer à petits pas vers la mort en s'aidant d'un déambulateur. " Même un dîner avec Elisabeth Borne serait plus joyeux. Et pourtant, c'est une claque.

Les parias (Kyrrpey, trad. Eric Boury), ed. Métailié, 317 pages, 22, 50 euros
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