Littérature noire
6 Mars 2024
C'était la Dernière Frontière, c'était le Grand Saut, c'était l'Appel du Cosmos, c'était la Destinée Manifeste. " Petite merveille de SF, L'occupation du ciel renvoie le lecteur, de même manière, à son désir de colonisation et à son autodestruction sur Terre. Après l'Ouest américain, après les abysses, les banquises, l'Homme se voit établir son plan B, sa survie, sur une planète qui au plus proche - lors de l'opposition astronomique (on apprend plein de choses dans ce roman) - est à 56 millions de kilomètres. Justement Clay Sawyer en revient de Mars. Il est le seul survivant de la coûteuse et très auscultée mission MarsUniverse. Après les mois du voyage de retour, le choc de l'attraction terrestre, perdu, déboussolé, d'autant que son épouse est morte là-haut, il souffre d'amnésie. Suivi au quotidien par une psychologue, interrogé par les pontes de l'Agence Spatiale, un jour, il a un flash. Il se souvient, il retrouve le fil et garde ça pour lui, comprenant que ses employeurs n'ont peut-être pas envie qu'il révèle certains dysfonctionnements, erreurs. Pour se protéger d'un coup de pression, et alors qu'en plein été, la Californie où il vit est de nouveau la proie de méga feux, il contacte une journaliste...
Ce n'est que le deuxième roman du Belge Gil Bartholeyns, après Deux kilos deux (JC Lattès) mais quelle maîtrise ! Professeur de faculté en histoire et anthropologie, il dresse d'abord un formidable panorama de la conquête spatiale, entrant juste le nécessaire dans les détails techniques autour de la vie sur Mars, des trajectoires spatiales et s'intéresse avant tout aux motivations des Hommes. La motivation de son personnage de Clay Sawyer, marionette consciente, apeurée puis frondeuse. La motivation de l'Humanité. Dans un vocabulaire savoureux, Gil Bartholeyns fait goûter aux lecteurs le quotidien d'un été infernal en quoi ? 2150 ? 2250 ? " On n'a jamais vu la dévoration des flammes terroriser l'Ouest sauvage à cette échelle durant des semaines ". Les cendres tombent en continu, la population, presque blasée, vit avec des masques, les services anti-incendies sont impuissants. Bien entendu manipuler cataclysme et derniers jours du monde, n'est pas neuf en SF mais l'auteur le fait réellement sentir : ces pages puent le cramé, font entendre les pins qui éclatent sous les flammes. Et L'occupation du ciel met également un point d'honneur à jouer sur les sens avec des odeurs de macadamia, de camphre, de jojoba, des verres de Benz paillettes ou des bols de soupe de wakamé. Un futur que l'on peut presque toucher. Parfois, il y a un soupçon de Blade Runner qui flotte, comme lorsque Deckard se tape un bol de nouilles, s'interrogeant sur la réalité de son univers.
La collection Imaginaire de Rivages n'en finit pas de dénicher des petits trésors de genres mais celui-ci laisse le lecteur essoré, quasiment en anaérobie.
L'occupation du ciel, ed. Rivages/Imaginaire, 271 pages, 21 euros