Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Somnambule : demain ne sera vraiment pas drôle

On se mange un certain nombre de dystopies ces temps-ci non ? La dernière en date étant celle d'Hervé Le Corre (Qui après nous vivrez). Il y avait aussi eu Le dernier jour des fauves, de Jérôme Leroy. Et il y a quelques années,  celles d'Emily St-John Mandel, de Peter Heller. Avec Somnambule, Dan Chaon offre encore autre chose. Son temps est peut-être celui des années 2040 ou 2050. Pas bien loin, en tous les cas. Les véhicules à roues, les portables existent toujours. Mais les drones sont vraiment partout désormais. Les caméras de surveillance également. Au point que les habitants portent parfois des casquettes avec des rideaux de led devant les yeux pour contourner la reconnaissance faciale. C'est un monde dans lequel les robots de toutes formes évoluent, souvent, encore une fois, dans des missions de sécurité mais avec des looks qui se veulent rassurant comme celui croisé dans un casino, ressemblant à un pingouin. Parce que Somnambule joue avec les genres comme avec les codes, parfois sombre, parfois drôle.
Will Bear, alias William Baird, alias Billy Bayer, ou Bear Williams, c'est selon, traverse les Etats-Unis d'est en ouest et du nord au sud pour rendre des services dans un pays en pleine désolation. Rendre des services, c'est par exemple trouver et ramener un homme qui doit payer ses dettes. C'est transporter un bébé d'un point A à un point B. C'est nettoyer une scène de crime. Pour cela, on l'appelle sur l'un des nombreux téléphones portables prépayés qu'il garde dans un seau. Cynique, stoïque, il ne montre d'affection que pour son pittbull, Flip, toutou placide jusqu'à un certain point. Depuis qu'il a tué sa mère à 17 ans, Will/William/Billy/Bear regarde l'état de son pays sans s'y attarder : " c'est vrai que le monde n'est pas en super forme, mais j'ai lu qu'il avait connu pire - en 536 quand des éruptions volcaniques catastrophiques avaient provoqué un âge glaciaire, une famine dévastatrice, etc. Cela avait sans doute été plus grave en 1349 et peut-être encore plus grave en 1520 - mais on sent tous que des jours encore plus sombres sont à venir. "
Mais maintenant, il va être bien obligé de réagir : sur l'un de ses portables non traçables, une jeune fille l'appelle et prétend être sa fille. Flash ! Dans sa jeunesse, pour gagner quelques dollars, il faisait des dons de sperme réguliers. Se peut-il que cette Cammie... ? Un bout de fantasme de paternité commence à naître chez ce mercenaire de 50 ans. Même si sa meilleure amie lui recommande la prudence, lui parle de manipulation, de piège, d'intelligence artificielle.
Somnambule est un road-movie rocambolesque, une dystopie douce amère dans une société ultra technologique où les relations humaines sont réduites aux services. Et c'est là que veut nous emmener Dan Chaon : sur le terrain de la déshumanisation du monde. Il y a ainsi ce vieil homme qui prend Will en stop : " j'ignore comment, mais on a convaincu les gens de passer leur vie entière rivé à un écran de la taille d'une carte à jouer. " L'auteur ne tombe heureusement pas dans la morale à deux sous, mais les rencontres de son personnage, s'exprimant toujours à la première personne, sont aussi précieuses que ses réflexions sur son "besoin" de paternité, son envie de reconnaître cet enfant. Le roman est malin, faussement léger, parce qu'il lévite sur plusieurs genres, un peu polar, un peu SF, roman de société. Il y a peut-être un creux dans le rythme lors d'un (plutôt) long dialogue avec Patches mais ces presque 400 pages sont suffisamment rythmées pour passer l'écueil. Et finalement, on redemande de la dystopie.

Somnambule (Sleepwalk, trad. Hélène Fournier), ed. Albin Michel, 369 pages, 23, 90 euros
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article