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The killer inside me

Littérature noire

La casse : le plus sanglant des tangos

Là, oui ! Deux cent pages. Pas un gramme de graisse. Une ville (Cordoba ? D'où est originaire l'autrice ? On parle de "province"...) aux mains d'une police corrompue et ultra violente. Un engrenage qui part d'un simple geste de jalousie. Des personnages qui sombrent. La casse d'Eugenia Almeida est l'une des excellentes surprises de ce printemps.
Bien sûr, l'intrigue, aussi sèche, est pesée et soupesée, avec une sorte de jeu de dominos qui démarre avec un banal mot anonyme sur le parebrise de son magnifique coupé Fiat 1600 : " toi ici, et elle qui baise avec un autre ". Le destinataire : Saravia, prof à la fac, va devenir parano. Il va changer sa voiture de place. Elle sera volée. Et de là, un équilibre géant de corruption, depuis le ministère jusqu'aux différentes strates de la hiérarchie policière, qui est mis en péril. Et quand on parle de corruption, c'est gentil. Ces flics pillent les maisons de certaines victimes. Maquillent des meurtres. En étouffent d'autres. Et flinguent quand c'est nécessaire. C'est-à-dire assez souvent il faut avouer.
Dans ce marigot d'êtres sans horizon, Eugenia Almeida tisse une narration vraiment étouffante, sur la base d'une syntaxe tronçonnée, rugueuse : " Durruti s'approche du comptoir. Cette femme, avec un torchon à la main. Elle ne sourit pas. Mais c'est tout comme. La peau des mains tâchées.  Le dos légèrement affaissée. Les cheveux courts. Blancs. Ils pourraient parler pendant des heures. Ils ne se sont pas vus depuis des années. Peut-être vingt ans. "
Très clairement, le lecteur n'est pas prêt dans les premières pages à se prendre ce style dans les gencives. Et puis, ça passe, bien même. Ce n'est pas un artifice, l'écriture d'Eugenia Almeida sert comme il se doit son histoire. Avec aussi des dialogues pour continuer dans le rythme, maintenir cette roue qui tourne, le temps en fait qui joue contre toute cette petite faune au bord du gouffre par la faute d'une broutille.
Bien entendu, comme souvent chez les romanciers du noir sudaméricain (on pense à Edyr Augusto ou Boris Quercia), ça tabasse avec constance. On tire dans la tête, dans les yeux, dans la bouche, on cisaille des doigts, on balance des cadavres sur des bancs publics.
Enfin, si La casse commence avec le point de vue des caïds de la casse justement, il se détourne ensuite pour adopter celui du prof de fac, d'une diseuse de bonne aventure, du patron des flics, du ministre, de la maîtresse de ce même ministre...
On ne lit pas ça tous les jours pour tout dire, une telle noirceur, un tel degré de pourriture institutionnalisée. Et, évidemment, ça fait du bien.

La casse (Desarmadero, trad. Lise Belperron), ed. Métaillié, 206 pages, 20 euros
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