Littérature noire
13 Juin 2024
De la pure non-fiction ! Une enquête de terrain, à la première personne, des implications politiques, diplomatiques, à travers deux continents (au moins), des parents désoeuvrés... A la recherche du fils perdu, de Brett Forrest, reporter du Wall Street Journal, est un modèle du genre et un exemple de journalisme engagé, méthodique, sérieux.
Deux éléments. Temporel : le 11 septembre 2001 foudroie de stupeur le jeune Billy Reilly, treize ans. Elément géographique : Billy Reilly, avec ses parents et sa soeur, habite Oxford, une petite ville campagnarde à quelques kilomètres de Detroit. Gamin isolé, sans beaucoup d'amis, Billy, après l'attaque des tours jumelles, va s'intéresser aux terroristes et à leurs motivations. Comme d'autres, il va trouver dans l'islam de quoi assumer, assouvir sa volonté de rebellion, peut-être de revanche. Par internet, il va communiquer sur des forums avec des inconnus lointains, certains plus ou moins impliqués dans des mouvements terroristes. Et justement, un après-midi d'avril 2010, l'agent spécial David Kotal tape à la porte des Reilly : le nom de Billy a été retrouvé dans un ordinateur saisi au Moyen-Orient. Si les parents paniquent, le FBI joue la carte CSH (source humaine confidentielle) et demande à Billy de continuer à nouer des liens avec les islamistes pour tenter de déjouer les éventuels attentats. Lui s'exécute, ravi d'être utile, s'imaginant intégrer un jour la prestigieuse agence.
Mais Billy a une autre carte dans son jeu : il s'est passionné pour la Russie depuis un voyage familial à Saint-Petersbourg. Avec l'explosion des réseaux sociaux, il communique, en russe, avec des paramilitaires impliqués dans le Donbass. Et décide de s'y rendre... avant de disparaître subitement, en juin 2015, quelques jours après son arrivée, du côté de Rostov. Que s'est-il passé ? Où se trouve-t-il ? Les parents alertent les autorités, se tournent vers le FBI, engage un privé russe.
Brett Forrest retrace méthodiquement la vie de Billy Reilly grâce à des entretiens avec les parents, les proches mais également les personnes croisées en Russie, en Ukraine. Le journaliste a effectivement vécu à Moscou, à Kiev, connaît la langue mais a également conservé de sérieux contacts au coeur de la diplomatie. Assez vite, Brett Forrest s'aperçoit que le nom de Billy Reilly dérange, à Washington comme sur les bords de la Volga.
Le travail journalistique est faramineux, les risques pris sont incroyables et l'enquête, publiée dans le quotidien en 2019, a poussé trois sénateurs US à réclamer une enquête. L'une des toutes meilleures non-fiction de ces dix dernières années.
A la recherche du fils perdu (The lost son, trad. Guillaume Marlière), ed. Dark side, 462 pages, 25 euros