Littérature noire
3 Juillet 2024
Gay Talese, à 92 ans, est toujours en vie et sa plume traverse les décennies. Sinatra a un rhume, portraits et reportages (treize textes parus entre 1961 et 1997 dans Esquire et d'autres revues) a été réédité il y a une dizaine d'années par les éditions du Sous-sol et cela demeure un magnifique témoignage de journalisme écrit, pesé, personnalisé, touchant. De la non-fiction sans additif, à la source même puisque l'éditeur aime rappeler que Tom Wolfe considérait Talese comme le père du "Nouveau journalisme".
Ici, l'auteur rencontre donc Blue eyes pour un reportage dans lequel Sinatra n'accorde pas un mot au journaliste. Tant pis, Gay Talese raconte les journées du chanteur à travers son entourage, sa mère, sa fille, à travers des scènes nocturnes à Las Vegas, sur un tournage. C'est du journalisme au long cours à la veille des cinquante ans de la vedette et ces lignes saisissent tout à la fois la personnalité généreuse et colérique de Sinatra comme elles colorent une époque, donnent de la chair à ce show business qui, encore plus en France et en 2024, paraît si fantasmé.
Proche des stars de ces années 60, 70, Gay Talese écrit ainsi sur Peter O'Toole de retour dans son Irlande, sur Joe Di Maggio à son restaurant, sur les dessous du magazine Vogue, l'histoire parisienne de la Paris Review et sur les boxeurs : Joe Louis et aussi, ce qui est peut-être son meilleur sujet, Floyd Patterson, dans un formidable article baptisé, Le vaincu.
Gay Talese confie dans un texte final comment il est venu au journalisme, ses chances, les opportunités qu'il a su saisir lui le fils de tailleur installé à Ocean City, station balnéaire au sud de New-York. Pétri d'honnêteté, exigeant avec lui même, il a toujours voulu montrer "autre chose" de la réalité américaine et y aller en profondeur avec un peu la même élégance que celle des costumes que son père fabriquait. Tout cela pour rappeler que le journalisme, le reportage peuvent aussi toucher à l'art.
Sinatra a un rhume, portraits et reportages (trad. Michel Cordillot), ed. du Sous-Sol, 311 pages, 22 euros