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The killer inside me

Littérature noire

Un privé à Babylone : derrière l'humour, les fêlures

" J'avais entamé l'année 1941 avec une voiture et voilà qu'aujourd'hui, un an plus tard, je ne pouvais plus compter que sur mes pieds. Il y a des hauts et des bas dans l'existence. Au point où j'en étais, ma vie ne pouvait plus guère que remonter la pente. Pour être plus bas que moi, il fallait être mort. "
Richard Brautigan à 42 ans, en 1977, lorsqu'il publie Un privé à Babylone, pastiche jubilatoire de polar qui semble aussi un roman très personnel pour peu que l'on se penche sur la vie terrible de l'auteur avant de connaître le succès grace à La pêche à la truite en Amérique (1967).
Crade, son détective privé miséreux de San Francisco, vient de décrocher un contrat ou, au moins, un rendez-vous d'affaire. Pour être plus présentable, plus sérieux devant sa clientèle, il lui faudrait un pistolet qui soit chargé. Mais il n'a pas un dollar pour acheter des balles. La première partie d'Un privé à Babylone est donc une suite hilarante de situations dans lesquels Crade, crevant littéralement la faim, se contente ici d'un café, là d'un beignet rassis , et se fait joyeusement envoyer paître par ses semblables. Une vraie misère, " d'un seul coup la faim s'est  mise à me tabasser le ventre, on aurait dit Joe Louis. Trois bons crochets du droit dans les tripes et j'ai pris la direction du réfrigérateur. Grossière erreur. J'ai regardé dedans et je me suis dépêché de fermer la porte en vitesse quand l'espèce de jungle luxuriante qui était à l'intérieur a essayé de s'échapper. Je ne sais pas comment font les gens pour vivre comme moi. Mon appartement est si sale qu'il n'y a pas longtemps j'ai remplacé toutes les ampoules de soixante-quinze watts par des ampoules de vingt-cinq pour ne plus être obligé de voir tout ça. " Quand on sait que Brautigan a été SDF pendant de longues années...
Mais le roman est aussi personnel parce que ce privé est un sacré rêveur, capable en une fraction de seconde de se projeter dans son monde fantasmé de Babylone et là, il s'imagine héros complet, avec une secrétaire magnifique, luttant contre de vrais méchants. Cette candeur, presque une innocence, transpire dans ces passages où Crade tente de s'extraire de sa réalité sordide. Par instant, le lecteur peut sentir les fêlures d'un Brautigan qui, malgré la reconnaissance, a porté le poids d'une enfance fracassée. Sept ans après Un privé à Babylone il mettra fin à ses jours.

Un privé à Babylone (Dreaming of Babylone, trad. Marc Chénetier), ed. Bourgois, 233 pages, 8 euros
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