Littérature noire
26 Août 2024
Richard Morgiève a mis plusieurs années avant de boucler ce roman. La mission lui tenait à coeur sans doute parce qu'elle soulevait en lui, certains souvenirs, qu'elle frottait certaines cicatrices. Le lecteur retrouve ici le Morgiève intime et le Morgiève frondeur, qui décide d'écrire sur la Résistance comme dans un conte.
La Seconde Guerre Mondiale touche à sa fin dans la campagne française et Jacques Paul, 17 ans, enfant de l'Assistance, doit rejoindre une nouvelle ferme. Sur le chemin, il croise une bande de Résistants et les suit. Sauf que derrière les fusils se cachent des êtres aux motivations bien différentes. Fusillade, règlement de comptes, poursuites, Jacques doit fuir et construire sa liberté seul. En chemin, il croise un jeune homme gravement blessé, enrôlé de force dans la division Das Reich et déserteur. Le temps de quelques heures, ils s'aiment. Mais le malheureux succombe à ses blessures et, dans un dernier souffle, demande à Jacques de prendre son identité. Abattu, épuisé, blessé, Jacques devenu Erwin est recueilli dans un hôpital où une soeur l'initie au ping-pong, avant qu'un pensionnaire, l'énigmatique Cardinal, espion russe ou ambassadeur de Pie XII, ne le prenne sous son aile. Dans cet univers singulier, la Mère supérieure mijote elle aussi quelque chose. Au coeur du chaos de cette fin de guerre, après avoir croisé la route d'un Chinois, d'un homme appelé le Masque, Jacques se rend à Sète pour embarquer vers les Etats-Unis grâce au Duc...
" Oui, oui, ma vie était un conte "... raconte Jacques à un moment de son périple. Et c'est un peu ce ton qui déstabilise dans le nouveau roman de Richard Morgiève. Il y a un côté Candide assumé et une découverte autant de la vie, que des hommes, dans leurs meilleures et leurs pires actions. Surtout, au-dessus de tout, il y a l'amour qui tombe sur Jacques et pour ça, il n'y a pas meilleur peintre des sentiments que Morgiève, découvrant chaque fois la puissance du sentiment, son côté absolu, quasi religieux. Mais La mission, tout autant que, finalement, roman picaresque ou d'initiation, se veut aussi un hommage à la nature, celle qui accueille Jacques le fuyard dans ses nuits à la belle étoile, celle qui le protège et lui redonne aussi la foi dans le beau.
Roman complexe, déroutant comme souvent chez cet auteur qui a défini le mot inclassable, La mission ravira les amateurs de Richard Morgiève parce que l'on y retrouve ses marottes, l'enfance perdue, les rencontres, les situations folles et les sentiments les plus purs. Ceux qui sont moins habitués au style de l'auteur de l'immense Petit homme de dos seront un peu désemparés.
La mission, ed. Joëlle Losfeld, 234 pages, 20 €.