17 Août 2024
En Corse un peu plus que dans l'hexagone, un nouveau roman de Jérôme Ferrari ou un nouveau texte (il a fait de belles chroniques aussi) sont toujours attendus avec une excitation non feinte. C'est que l'auteur séduit par la justesse de ses analyses et la beauté de sa prose, ajoutées à des narrations fortes. Il y a de grosses bagarres, le soir, au comptoir pour savoir lequel de ses romans méritent le plus d'estime. Ici, on a la faiblesse de penser à Où j'ai laissé mon âme... sauf que l'on n'a pas tout lu, il faut être honnête. Mais on s'écarte de l'actualité : Jérôme Ferrari sort mercredi son neuvième roman, Nord Sentinelle (toujours chez Actes Aud). Court, dense, multipliant les idées sur notre rapport à l'autre, qu'il soit touriste (parlons-en franchement !), explorateur ou immigré. L'occasion est trop belle d'en savoir un tout petit peu plus.
L'idée c'était de faire quelque chose sur les différents types de rapport à l'autre. Qui ne sont évidemment pas les mêmes quand on va passer les vacances dans une ville, quand on va travailler dans un pays que l'on ne connaît pas, quand on fait de l'ethnologie, de l'exploration ou quand par exemple, personnellement, je vais rencontrer des éditeurs. Comme j'ai la double expérience d'avoir travaillé à l'étranger et de vivre dans une région dont l'économie est quasiment axée à 100% sur un certain type de tourisme, cela me parlait. C'était une idée abstraite et il fallait que cela devienne une idée de roman. C'est ça qui est long. Ce qui était long également, ce n'était pas seulement la structure mais articuler des textes qui étaient sur le ton du conte sans que cela en soit un, et puis articuler un roman dans lequel il y a plusieurs petites histoires.
Il ne la contre pas puisqu'il en est imprégné de cette image ! Qui est une image assez répandue en Méditerranée, aussi bien à l'ouest qu'à l'est. Je pense que l'image est fausse même si elle fonctionnait bien sur moi quand j'étais petit. Mais mes grands-parents étaient très désireux de me faire comprendre que ce n'était pas comme ça. Leurs souvenirs d'enfance du banditisme en Corse n'étaient pas quelque chose de romantique du tout... Évidemment les histoires de mon roman sont sordides mais Alexandre, lui, a cette image romantique, qui est efficace dans son esprit.
Non, non, je n'y crois pas à l'ancien monde avec de la pudeur et de l'éducation. Enfin si, il y en avait. Mais je ne crois pas beaucoup au passé merveilleux. Mon narrateur est issu d'une famille plutôt modeste par rapport aux Romani qui sont des sgio, il y a donc une espèce de grande rancœur, très ancienne, qui est celle de sa famille, pas la sienne, mais le narrateur n'est pas mon porte-parole, il n'est pas fiable. Il a cette rancœur contre celui qui est, par ailleurs, son meilleur ami et on voit bien dans le roman qu'il n'est pas très juste avec ceux qui l'entourent.
Ah... je vais répondre avec soin. Cela l'est dans la mesure où des pays touristiques sont conçus comme du matériau de voyage à exploiter. Et en quelque sorte, ce sont comme des magasins où les gens vont faire leurs courses, pour des souvenirs, des bons moments. Il y a plein de façon de faire du tourisme mais dans cette mesure-là, les pays ne sont pas vus pour ce qu'il sont mais comme un spectacle, un divertissement. Et ça, c'est bien plus prégnant dans les pays où il existe une grande différence économique entre les habitants et les touristes. En Corse, ce n'est pas le cas, nous ne sommes pas un pays du tiers-monde, le rapport n'est pas aussi inégal.
C'est normal. Ce n'est pas le thème du roman mais on ne peut pas transformer un pays entier en réseaux de résidences secondaires, il y a des gens qui y vivent tout de même.
Je ne le ferai pas ce lien. C'est un triptyque et si ce tome se passe en Corse, ce ne sera pas le cas avec les deux autres. Je ne dis pas que la Corse y sera absolument absente parce que dans tout ce que j'écris elle est présente même en arrière-plan mais il faut comprendre que chez Burton le rapport à l'autre est très, très compliqué. Il a fait des explorations dans un monde colonial puisqu'il est britannique et en même temps il a une curiosité extrême pour les peuples au point qu'il essaie de se fondre parmi eux, il apprend leur langue, il s'habille comme eux. Et il n'en demeure pas moins un explorateur anglais, je ne vais pas peindre un rapport idyllique à l'altérité avec Burton. C'est quelqu'un qui parlait quarante langues. Au point de passer pour un natif. Il a commencé dans l'armée des Indes et il parlait une dizaine des langues de la péninsule indienne, ourdou, hindi. Il a appris l'arabe, le farsi, le turc. Il a fait le pèlerinage à la Mecque déguisé en Afghan. Il a découvert les sources du Nil. C'est un aventurier, un linguiste et un érudit. Et il a trouvé le temps de traduire les Mille et une nuits ! Un incroyable personnage de roman et il y en a d'ailleurs eu un excellent, Le collectionneur de mondes (Ilija Trojanow, Buchet Chastel).
Je me suis intéressé à l'ethnologie parce que j'ai toujours adoré ce qui était étranger. Mes connaissances en ethnologie restent toutefois sommaires. Pour faire de l'ethnologie, c'était mieux de naître un peu avant moi (rires). J'aime par exemple beaucoup l'œuvre de Claude Levi-Strauss.
La nostalgie est un sentiment très important, pour moi et pour pas mal de monde. Et quand on prend de l'âge il devient de plus en plus important. Mais je pense qu'il est un peu trompeur, parce qu'il a tendance à parer de charmes certaines choses qui n'en avaient pas alors. Et c'est ça qui est beau : cela devient plus désirable du fait que c'est inatteignable. Nostalgie ça veut dire la douleur du retour. L'impossibilité de retourner là où on voudrait aller quand c'est appliqué au temps. Je ne regrette pas un quelconque monde disparu, je ne pense qu'il a été plus sympathique que celui dans lequel on évolue. C'est l'aspect irréversible de l'existence qui est le moteur de la nostalgie et c'est pour cela qu'il est difficile d'y échapper.
Ce n'est pas de la politique au sens où il défendrait une thèse mais ça l'est au sens où il parle d'un aspect du monde contemporain. Ce n'est pas non plus de la politique parce que je parle de problèmes pour lesquels il n'existe pas de solution
François Reynaud de Romans-sur-Isère est un des premiers libraires à m'avoir contacté quand Balco Atlantico est sorti. Il s'est intéressé à mes livres quand personne ne s'y intéressait. Les livres arrivent dans les mains des lecteurs par le biais des libraires et souvent grâce aux libraires indépendants, c'est important. Ils ne sont pas que des vendeurs de livres, ils savent quoi conseiller et à qui. Et j'essaye d'être assez fidèle à ceux qui m'ont invité comme La machine à lire à Bordeaux. C'est normal de continuer à aller les voir.
J'espère que ce ne sera pas le même genre de calendrier ! Je ne vais pas sortir un bouquin tous les six ans ! Idéalement, j'espère que ce sera un tous les deux ans Ou un an et demi. Mais il faut que je puisse l'écrire ! Là, j'y pense, je songe à la structure, je fais toujours ça avant de pouvoir écrire. Pour Nord Sentinelle, je n'ai jamais mis autant de temps, six ans entre deux romans ce n'était jamais arrivé, c'est exceptionnel. Enfin, je l'espère.
Oui. Amateur. Je ne me qualifierai pas de cinéphile. J'ai été un consommateur de cinéma mais je n'ai commencé à apprécier le cadrage, la photo, la mise en scène, que vers ma trentième année. Ma première expérience de cinéma pour le cinéma, c'était Apocalypse Now quand il était ressorti au début des années 2000, avec la version final cut et les scènes dans la plantation française... Je l'avais déjà vu avant mais comme un film de guerre, j'étais passé complètement à côté. Tout le cinéma de Kurosawa a été également une grande découverte. Et Masaki Kobayashi parce qu'il y avait dans ce cinéma japonais quelque chose qui me touchait. Pour en revenir à Thierry (de Peretti), Une vie violente a été extrêmement bien reçu sur le continent, un film dans lequel il n'y a aucun didactisme, malgré des situations compliquées, même pour nous, il arrive à rendre cela limpide, sans besoin d'un mode d'emploi, c'est fort.