Littérature noire
20 Août 2024
Petite bombe d'émotions que ces Ephémères ! Attention aux quinquas qui ont vécu une jeunesse musicale tumultueuse, intense, ce roman va vous tripoter le coeur et en faire des confettis.
Dans le Glasgow de l'été 1986, Jimmy (le narrateur) et Tully sont les deux meilleurs amis du monde, unis par leur vision du monde certes, un brin socialiste puisqu'ils sont venus en aide aux mineurs en grève, mais unis avant tout par la musique. Et quand on a 18 ans, c'est primordial, vital. Cet été-là, ils décident avec quatre autres amis inoxydables de se payer un week-end à Manchester pour aller voir les Smiths et quelques autres groupes, au G Mex, avec passage obligé à la fameuse Hacienda. Rigolards, chambreurs, charmants, sans le sou, ils vont passer les plus belles 48 heures de leur vie, croiser leurs idoles, tomber vingt fois amoureux, boire des coups, prendre un peu de speed, dormir dans un squat... et se fabriquer des souvenirs pour toute une vie : " ce que nous vécûmes ce jour-là, c'était notre histoire. Nous n'avions pas l'autre partie, l'avenir, et nous n'avions aucun moyen de savoir ce qu'il serait. ".
Automne 2017, les deux amis sont bien évidemment restés en contact. Tully appelle Jimmy pour lui annoncer qu'il a un cancer généralisé, que ses médecins lui prédisent quatre mois de vie. Et il a bien réfléchi : il voudra se rendre en Suisse pour une mort assistée, plutôt que de finir comme un légume. Jimmy est dévasté...
Oui, Andrew O'Hagan joue avec nos sentiments, oui, le contraste jeunesse insouciante-tragédie adulte n'est pas de la première originalité... mais que c'est bon dans Les Ephémères. Tout le livre est traversé par une envie de vivre incroyable, par cette fraîcheur assez années 80 finalement, quand les engagements politiques n'étaient pas fixés sur la seule haine, quand le football était encore un sport populaire et surtout quand la musique était une merveille. On parle ici des Clash, des Uk Subs, des Ramones vite fait, des Smiths bien entendu, de New Order mais aussi de cinéma, du Parrain I et II notamment. Et qui dit Glasgow, dit misère sociale : " nous n'avions pas d'emplois pour autant : le thatchérisme avait traversé la ville comme les fléaux de l'exode. Nous avions eu le sang et les grenouilles, et nous attendions les furoncles et les sauterelles. " Pas issus des couches les plus aisées, les deux amis vivent une situation familiale complexe, Jimmy, doué pour la littérature, veut quitter le nid familial, Tully, déjà employé d'usine, s'éloigne d'un père devenu l'ombre de lui-même. O'Hagan fait revivre cet été 86 avec tendresse et dureté. Il parvient à tenir ce credo dans une deuxième partie qui ressemble à une fin des illusions : modèle capitaliste vainqueur, réseaux sociaux, maladie... Une seule chose résiste, l'amitié. Sincère, totale, jusqu'au boutiste. Entre deux hommes, deux ex-jeunes hommes. Et cette seconde partie, un brin mortifère bien entendu, n'en est pas moins gorgée de l'envie de vivre qu'ont toujours eue ces deux gars-là. Il y a une ou deux images clichés, c'est vrai, notamment avec le vin en Sicile mais c'est le propre des Ecossais, de vouloir inviter le soleil dans leur grisaille pour imaginer que c'est forcément le paradis ! On retient plus sûrement ces scènes dans une caravane près de la mer quand les deux amis se retrouvent. Ou lorsqu'ils vont une dernière fois rendre visite à la mère de Tully, dans son Ephad.
Titre somptueux, couverture réussie (pour une fois c'est l'édition originale), texte magnifique, Les Ephémères est un enchantement.
Les Ephémères (Mayflies, trad. Céline Schwaller), ed. Métailié, 284 pages, 21, 50 euros