Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Nord Sentinelle : notre sauvagerie, de la Corse, au golfe du Bengale

Jérôme Ferrari s'impose tranquillement comme le grand romancier de la confrontation. Peut-être même est-il une sorte d'héritier du Lautréamont des Chants de Maldoror, mariant la rage et la sauvagerie à une beauté littéraire rare. Avec Nord Sentinelle, l'auteur insulaire inaugure une trilogie sur le rapport à l'autre. C'est ambitieux et global mais justement cela concerne tant de pans de la société.
Le coeur de ce nouveau roman se situe dans le sud de la Corse, dans une station balnéaire. Là, depuis quatre, cinq générations, règnent la famille Romani qui, grâce à des terres, des investissements réussis, tient l'économie de ce que l'on appelait autrefois le canton. Le narrateur, modeste enseignant, est ami de la famille. A travers son récit, c'est l'histoire de ces puissants, grandes gueules, frimeurs, n'ayant que mépris pour l'instruction et la culture, que Jérôme Ferrari décline avec une plume d'une méchante ironie. " Philippe a toujours témoigné d'un étrange respect pour le diplôme du baccalauréat alors qu'il a lui-même mis un terme à sa désastreuse scolarité en troisième, non sans avoir eu le temps de provoquer  au sein du corps enseignant, de l'école primaire jusqu'au collège, une vague d'arrêts maladie qui ne furent pas tous de complaisance. "
Le climax de Nord Sentinelle survient quand le dernier enfant de la dynastie Romani, gérant de la paillote familiale, poignarde un client, connaissance de longue date, pour une triste affaire de vin introduit dans son restaurant. Mais là où l'auteur exerce son génie, c'est qu'il parvient à distraire le lecteur de ce fait divers pour qu'il s'intéresse à la compagne de la victime, Shirin, jeune fille de banlieue, exemple de méritocratie. Et Jérôme Ferrari de lâcher alors quelques morceaux de magie orientale, à travers djinns et contes. Ses lignes là emportent très loin avec une grâce bienvenue, une forme de douceur qui contraste avec le drame pitoyable de la station balnéaire. Pitoyable mais iconique pour l'auteur.
Dans une narration compacte, avec ces habituelles phrases d'une page ou presque, l'auteur d'Où j'ai laissé mon âme, présente Richard Francis Barton, explorateur, poète, linguiste, britannique et pilier historique de ce fameux rapport à l'autre.
Le titre du roman renvoie à cette île du golfe du Bengale qui a toujours chassé, tué, le moindre visiteur. La couverture, elle, illustre ces bateaux de croisière qui accoste désormais quasiment au coeur des villes, soulevant chaque jour un peu plus la colère des habitants. Il est donc question de tourisme derrière les 140 pages mais cela va bien au-delà. L'écriture de Ferrrari, son intelligence accessible, sont un autre des petits bonheurs de cette rentrée.

Nord Sentinelle, ed. Actes Sud, 140 pages, 17, 80 euros
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article