Littérature noire
1 Août 2024
" Il existe entre les pauvres une égalité, une certaine affection mutuelle qu'aucune fin de race de la famille royale ne connaîtra jamais. " Lire Robin Cook, c'est assurément affronter une vraie expérience de littérature. Dernier de ses romans, publié peu après sa mort, Quand se lève le brouillard rouge conjugue avec génie une intrigue sombre, désespérée et un style radical et réaliste, une histoire de flics tordus et de voyous londoniens hautement toxiques.
On est à la fin de l'URSS et un apparatchik projette de vendre des missiles nucléaires en passant par la pègre britannique. Les flics du contre-espionnage accroche Gust qui vient de braquer un fourgon de passeports tout beaux, tout neufs. Les pandores le forcent à collaborer pour atteindre les caïds en cheville avec le Russe. Sauf que Gust, 46 ans, sortant de dix ans de cabane, n'est pas un chiot, plutôt un vieux doberman, et quand ses " collègues " lui demandent où sont passés les fameux passeports, il envoie tout bouler à grands coups de bâtons à cocktail dans les oreilles ! Gust a toujours tiré les mauvaises cartes de la vie, au moins depuis ses neuf ans quand il a vu sa voisine pendue au pommier. Seul, dos au mur, avec des caïds à ses trousses et la pression des flics, il va mordre.
En prenant le parti d'un repris de justice, violent, incontrôlable, issu du lumpenprolétariat de la capitale, Robin Cook écrit les humeurs paradoxales d'un homme pris dans un vortex de malheurs et de malchance. Et qui en a, maintenant, un peu marre aussi. Pour désamorcer la noirceur du propos, il offre au lecteur quelques respirations, comme cette improbable scène de baston dans un restaurant chinois, vue par un peintre contemporain et un critique d'art. Humour tout à fait british. Et parce que rien n'est beau, sinon l'ex petite amie asiatique de Gust, il décrit une fille qui " portait une jupe qui commençait à la taille et se terminait plus ou moins à la taille aussi. Elle exhibait une cuisse large comme une autoroute, des jarretelles écarlates, et elle regardait une vidéo de Bruce Lee. "
Dans une ville de Londres glauque et dangereuse, ce polar couleur d'encre se termine de la plus belle des façons, avec un chant sans espoir, dramatique. Quand se lève le brouillard rouge est un précipité de tout ce qui vous fait adorer le roman noir.
Quand se lève le brouillard rouge (Not till the red Fog rises, trad. Jean-Paul Gratias), ed. Rivages, 360 pages, 8, 40 euros