Littérature noire
29 Octobre 2024
Cyril, professeur d'histoire-géo, se sent assiégé. Par une partie de ce quotidien agressif, vulgaire, bruyant. Par son frère aussi, qui veut absolument débarrasser la maison de leur mère à peine décédée pour pouvoir la vendre. Cette maison qui signifie tant pour lui et surtout des souvenirs doux comme ce Spider Man en plastique qu'il avait perdu dans un supermarché Mammouth... Et voilà qu'une personne qui lui passe devant à une caisse d'Intermarché, s'effondre. AVC. Ensuite c'est un chauffard lui balançant les pleins phares dans le rétroviseur qui s'emplafonne quelques centaines de mètres plus loin. Il y a le chien du voisin, gueulard, auquel il jette un galet inoffensif et claque d'un coup. Enfin, il y la proviseure adjointe, Eva Braun en tailleur boudiné, qui vient en salle des professeurs pour le convoquer. Patatras, AVC, pompiers, obsèques. Oui, Cyril est assiégé. C'est Fort Alamo pour Fabrice Caro.
On connaît l'humour de cet auteur de BD, capable de dynamiter le moindre repas de famille, la plus innocente relation sociale. Fabrice Caro est doté d'un double pouvoir : celui de l'observation et celui de la critique ironique. " Ma belle-mère allait m'offrir le Goncourt. Je n'en avais pas lu un seul. Et tous les ans elle me demandait ce que j'avais pensé du précédent, et tous les ans, je répondais J'ai beaucoup aimé, c'est traité avec beaucoup de finesse et de psychologie, et puis ça dit beaucoup de notre société. Et tous les ans elle concluait J'étais sûr que ça vous plairait, ce qui me confirmait qu'elle ne les lisait pas non plus. "
Caro ne signe pas dans Fluide Glacial pour rien : c'est souvent acide, drôle oui, et sans pitié pour nos conventions. L'amateur de romans noirs pourrait tenter de le comparer avec un Jacky Schwartzmann mais ici, il s'agit moins de mettre les mains dans le cambouis de la plèbe que de révéler les absurdités de notre monde. Il y a une différence de microscope mais pas de plaisir en revanche. Fabrice Caro régale, en se forçant à rester à la limite, sans ajouter la punchline qui ferait déborder l'histoire vers une succession de gags. Au final, il parvient à être touchant sur le rapport de Cyril à sa mère disparue, dernier homme à ainsi cultiver un chagrin simple. Et de s'interroger presque sur la place de nos disparus. Poilant et émouvant.
Fort Alamo, ed. Gallimard, coll. Sygne, 174 pages, 19, 50 euros